Frères ennemis, vraiment ?

par JEROME LEROY
Publié le 24 mai 2019 à 13:38

Comment parler d’un débat qu’on n’a pas vu ? Parce qu’on l’a déjà vu, tout simplement ou plus précisément parce qu’on sait d’avance ce qui y sera dit. Je ne parle pas du débat qui devrait avoir lieu le 22 mai dans le cadre des élections européennes.

Je ne sais pas non plus si je le regarderai puisque Ian Brossat, tête de liste du Parti communiste, n’y est pas invité. Je ne vois pas pourquoi je regarderai un débat où j’écouterai les argument des autres candidats, désignés arbitrairement par France Télévisions, alors que mon candidat ne pourra pas y répondre ni exposer les siens. [1]

Non, je parle d’un de ces débats tels que les aiment les chaînes infos, un de ces débats où ce qui compte, c’est le clash qui fera le bonheur des réseaux sociaux. En l’occurrence, je parle d’un débat qui a eu lieu sur LCI dans la soirée du 13 mai et qui opposait deux figures très médiatiques : à mon (extrême) droite, Éric Zemmour et à ma gauche plus du tout à gauche, Daniel Cohn-Bendit. On imagine sans peine ce qui a motivé un tel choix : l’audience. « Eh, les gars, je crois que j’ai une super idée pour augmenter nos recettes publicitaires. Si on mettait face à face Zemmour et Cohn-Bendit. Ouais, ce sont des bons clients. Pour rien au monde, ils ne refusent une invitation à la télé. Tu vas voir, entre les deux, ça va friter ! »

Zemmour, depuis quelques années, c’est quand même l’idole de la droite dure et des néo-réacs, l’homme qui n’a pas sa langue dans sa poche et qui n’hésite pas à casser du bien-pensant. Dans le voca bulaire néo-réac, les bien-pensants, c’est vous et moi. Pour Zemmour, nous sommes de pauvres idiots qui n’avons pas compris les vraies angoisses du peuple. Parce que naïvement, nous, on croyait que le peuple, ce qui le préoccu pait, c’était comment survivre dans une France de plus en plus inégalitaire, comment faire pour échapper au chômage, à la précarité, comment faire pour éviter que nos enfants vivent encore moins bien que nous, comment mieux respirer dans nos villes, comment mieux accueillir les migrants. la préoccupation du peuple, c’est l’identité.

Ça, c’est le mot fétiche de Zemmour : l’identité. Zemmour sait, lui, que le peuple a peur d’être envahi par des musulmans qui ne veulent pas s’assimiler et qui ont vite fait de devenir des terroristes. Et tant pis si la révolte des Gilets jaunes a prouvé le contraire,Zemmour sait mieux que le peuple ce dont le peuple a peur. Cohn-Bendit, en face, c’est un autre genre de beauté. Lui, c’est le moderne, le libéral-libertaire, l’homme qui sait que l’Europe et le capitalisme nous sauveront car ils garantissent la libre circulation des personnes et des biens. Peu lui importe que cette liberté soit celle du renard libre dans le poulailler libre, Cohn-Bendit aime la liberté pour la liberté.

Il a juste oublié de ses années soixante-huitardes que la liberté n’est rien sans l’égalité. Lui, il se méfie du peuple pour les mêmes raisons que Zemmour croit l’aimer : le peuple, c’est plein de beaufs qui se moquent de l’écologie et ont la trouille de la mondialisation parce qu’ils préfèrent rester planqués dans leurs zones pavillonnaires qu’ils n’aiment pas l’autre et qu’ils votent RN, ces salauds. Et voilà comment on passe des barricades à l’entourage de Macron.

Le pire, c’est que ce débat que je me suis empressé de ne pas voir, est une émanation servile du scénario mis en place parle pouvoir qui veut ne laisser aucun espace entre Macron et Le Pen. On pourrait donc croire que Zemmour et Cohn-Bendit sont irréconciliables. C’est tout le contraire. Ils sont les deux faces de la même pièce démonétisée, les faux frères ennemis d’un mauvais film écrit par la macronie, ou, comme le disait le grand Jean-Patrick Manchette dans un de ses romans noirs, ils sont les deux mâchoires du même piège à cons. Mais rien, vraiment rien ne nous oblige à y tomber. Il suffit de fermer la télé et d’aller voter communiste.

Notes :

[1Cette chronique a été rédigée le 17 mai