L’info hystérique

par JEROME LEROY
Publié le 8 mars 2019 à 18:09 Mise à jour le 15 mars 2019

On assiste, médiatiquement, que ce soit à la télé ou sur les réseaux sociaux, à un étrange phénomène. Certaines informations font l’objet d’un traitement hystérique tandis que d’autres vous sont données sur un ton calme, neutre, alors qu’elles sont réellement inquiétantes.

Un exemple d’hystérisation d’un sujet annexe, très annexe, mais vraiment très annexe ? Le hijab pour courir. On rappelle les faits. Décathlon commercialisait en ligne un modèle de foulard islamique pour les sportives féminines. Levée de boucliers, tweets assassins, la guerre civile virtuelle est déclarée. Décathlon renonce.

Mais bon, chez nous, on ne pense plus dès qu’il est question de l’islam, des femmes et encore plus des femmes dans l’islam. A la place, on dépense (en deux mots) comme disait l’écrivain Georges Bataille, ou même on décompense, comme disent les psy. De petites tribus républicanistes, « néoréacs », féministes pro-voile, antisionistes, islamophobes d’autant plus violentes qu’elles sont groupusculaires, jouent sur leur théâtre virtuel une comédie dont chacun connaît à l’avance les répliques. Pendant ce temps, la casse sociale continue, le pouvoir sourit, il débat tout seul, il avance. Les musulmans se sentent un peu plus exclus et l’extrême-droite continue son OPA sur le beau nom de laïcité. En revanche, le discours médiatique devient policé, scientifique, calme, voire un peu abscons pour nous expliquer avec des mots savants les pics de pollution aux particules fines. On évitera les images des petits Lillois en pleine crise d’asthme et des maisons de retraite de la région parisienne où les détresses respiratoires vont peut-être aider à rééquilibrer les régimes de retraite. On rappellera qu’au mois de décembre, une enquête sur la qualité de l’air dans la métropole lilloise indiquait que mille sept cents personnes par an mouraient prématurément à cause des particules fines. Ce chiffre serait celui des victimes d’une guerre, ce serait considéré comme insupportable. Mais les particules fines ne font pas de bruit et en plus, elles ne portent pas le hijab. Alors ça va, ce n’est pas grave. Détendez-vous. Payez une amende si vous circulez sans vignette Crit’air. C’est la double peine : vous respirez des saloperies et en plus vous passez à la caisse. La seule chose que je sais, c’est que ne sont pas des coureuses en hijab de running qui tuent autant. Et si elles ont couru par une de ces merveilleuses journées qu’on a eues en février, elles ont respiré les mêmes saloperies que les autres.

On peut également transposer ce traitement hystérique et sélectif de l’info au plan international. Comme chez Orwell dans 1984, le grand méchant des Minutes de la Haine, ces temps-ci est Maduro qui a une moustache et de gros sourcils. Il est opposé au héros de la démocratie, Juan Guaido, jeune et beau comme un néo-député macroniste. A lire ou plutôt à écouter la rumeur médiatique et celle des réseaux sociaux, on dirait que l’avenir du monde libre va sejouer au Venezuela. Que Maduro, à côté de Pol Pot, c’est un petit joueur. Nos lecteurs connaissent notre attachement à la révolution bolivarienne mais tout de même, cette crise reste locale et qui plus est largement manipulée par ceux qui ont intérêt à mettre la main sur les réserves pétrolières du Venezuela.

Par contre, on passe distraitement sur le fait que deux pays dirigés par des ultranationalistes, l’Inde et le Pakistan, qui disposent d’un arsenal nucléaire viennent de se livrer à un combat aérien meurtrier. Ou bien que deux chefs d’État, manifestement atteints de maladie mentale et de problème capillaires, Trump et Kim Jong-Un mais eux aussi disposant d’un passeport pour le champignon, se rencontrent, se trouvent vachement sympathiques et puis, sans transition ou presque, ne s’entendent plus du tout. Mais aujourd’hui, dans la logique hystérico-capitaliste, il est plus urgent de se préoccuper de renverser un gouvernement de gauche élu que de s’attarder sur les risques d’une guerre nucléaire.

C’est sans doute ce qu’on appelle la hiérarchisation de l’info.

Dernier livre publié : La petite gauloise (Manufacture de livres)