L’obscénité tranquille

par JEROME LEROY
Publié le 14 février 2020 à 12:59

Ils n’ont décidément rien compris ou, s’ils ont compris, c’est pire. Une proposition de loi du député du Nord Guy Bricout, UDI-AGIR, pourtant macrono-compatible, a été repoussée dans l’hémicycle le 30 janvier par le gouvernement, suivi par les groupes LREM et Modem dans leur quasi totalité.

Le député Bricout a eu beau faire appel à l’humanité de ses collègues, il n’a pas eu gain de cause. On estime à 4 500 le nombre de familles concernées par ce drame ultime, la mort d’un enfant. Un drame à proprement parler indicible. En effet, s’il existe bien un mot pour désigner l’enfant qui perd ses parents, il n’y en a pas pour la situation inverse, tant l’horreur est grande.

Mais dans quel monde vivent-ils donc ? Les arguments du côté du pouvoir ont été que ce n’est pas à l’entreprise de supporter le coût d’une telle mesure mais aux salariés. S’ils sont touchés par la tragédie qui frappe leur collègue, dans sa grande bonté, le gouvernement les laissera faire don de leurs RTT. Sans compter l’amalgame obscène entre congés payés et ceux liés à la mort d’un enfant Mais pour la ministre du Travail Pénicaud, comme pour les députés marcheurs dont le groupe s’effiloche chaque jour un peu plus, il ne fallait pas « pénaliser l’entreprise » . On croit rêver, et puis finalement, on se dit que c’est affreusement logique. Devant le scandale dans l’opinion, le gouvernement a reculé. Mais ce recul n’empêche pas cette affaire d’être un sacré révélateur de l’idéologie au pouvoir.

On s’interroge beaucoup ces temps-ci sur ce qui ferait cette colonne vertébrale idéologique du macronisme. Elle est finalement assez simple, c’est une guerre au monde du travail, une guerre incessante, inlassable, qui mène les grandes offensives, comme celle sur les retraites ou l’indemnisation des chômeurs à de petites humiliations qui vont de la baisse de rémunération de l’épargne populaire du livret A à celle des aides au logement.

L’indignation dans l’hémicycle, elle, a été immédiate aussi bien du côté de l’Insoumis Rufin : « On parle de la tragédie des tragédies » que de l’ex-députée LREM Agnès Thill qui parle « d’une humanité à géométrie variable chez ses anciens collèges » sans compter la députée LR Brigitte Kuster qui constate, encore une fois , « une majorité incapable d’écouter ».

La palme de l’inhumanité cynique revient, en la matière, à la marcheuse Sereine Mauborgne : « Quand on s’achète de la générosité à bon prix sur le dos des entreprises, c’est quand même un peu facile. » Un peu facile... Bien sûr, perdre un enfant et avoir besoin, comme en Angleterre ou en Suède, de douze jours pour vivre un deuil, c’est « un peu facile ».

Non, ils n’ont décidément rien compris. Ils ont beau jeu de s’indigner de la violence des manifestants quand eux exercent une telle violence symbolique. Pire, quand ils font preuve d’une telle indifférence à la souffrance comme si le salarié endeuillé par la pire des pertes appartenait à une espèce différente, n’était résumé qu’à sa force de travail. Qu’il ne s’étonne pas, ce gouvernement, qu’ils ne s’étonnent pas, ces quarante députés, si LREM est aujourd’hui virtuellement dans l’impossibilité de faire campagne pour les municipales, si les candidats sont aux abonnés absents dans des permanences fermées, quand elles ne sont pas vandalisées, parce qu’ils n’osent plus aller à la rencontre du citoyen.

Ce pouvoir prouve de la manière la plus indigne qui soit qu’il n’est pas là pour émanciper une société. Il est là, et on le voit dans les moindres de ses réflexes, pour défendre des intérêts de classe. Non seulement, il faudra travailler jusqu’à la fin dans une anxiété constante, une insécurité sociale généralisée, mais on ne vous laissera même plus le temps de pleurer. Cela pourrait nuire à la productivité et augmenter le coût du travail, vous comprenez... Qu’ils s’en aillent. Qu’ils s’en aillent vite.