La paille de Chantal Jouanno et la poutre du CAC 40

par JEROME LEROY
Publié le 23 janvier 2019 à 17:08

La chasse à Chantal Jouanno est ouverte. La présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP) a tout de la victime expiatoire de la crise actuelle, celle des Gilets jaunes mais aussi celle d’un président de la République aux abois qui tente une diversion en lançant lui-même un grand débat à condition que les Français invités à débattre ne viennent surtout pas contrarier son grand dessein de « modernisation libérale ».

On pourra discuter de tout, à condition de ne pas remettre en question ce qui a déclenché la crise : les inégalités qui se sont creusées et qui ont rendu difficile et humiliante la vie, ou plutôt la survie quotidienne de millions de Français qui se battent chaque jour, et souvent sans succès, pour ne pas passer du mauvais côté de la frontière qui sépare la classe moyenne de la pauvreté pure et simple alors que pourtant... ils travaillent.

Chantal Jouanno avait été chargée à la mi-décembre, somme toute logiquement, étant donné ses fonctions, d’organiser et de synthétiser ce débat. Assez vite, elle a eu des doutes. Quand, le 4 janvier, elle annonçait que les premières synthèses faisaient remonter deux sujets principaux – " la justice sociale et fiscale " et " l’injustice territoriale " –, elle a sans doute signé sans le savoir son arrêt de mort. D’abord aux yeux du gouvernement qui n’a surtout pas envie qu’on parle trop de ça, mais aussi aux yeux d’une certaine droite qui aimerait bien que les Gilets jaunes n’aient pas des revendications sociales et que leurs vraies préoccupations soient, dans le désordre, l’immigration, la peine de mort et pourquoi pas le « mariage pour tous », attitude qui fait penser à celles des enfants des petites sections de maternelle qui veulent absolument faire rentrer un triangle dans l’espace prévu pour un carré.

Alors, pour commencer, on a sorti le salaire de la présidente du CNDP : 14700 euros par mois. Il est certain que ça la fichait mal. Comment une dame qui gagnait dix fois le SMIC allait pouvoir comprendre la misère ordinaire des Gilets jaunes ? Devant la révélation de ce salaire alliée à la façon à la fois floue et verrouillée dont le grand débat allait s’enliser, elle jette l’éponge. Et aussitôt, l’inénarrable Benjamin Griveaux, le Salvador Allende du putsch en transpalette, de réclamer sa démission. On en est là.

Pendant ce temps, une autre information pourtant intéressante est passée dans un relatif silence. Le 9 janvier, on apprend que les entreprises du CAC 40 avaient reversé 57,4 milliards d’euros aux actionnaires, battant le record de 57 milliards qui datait de 2008 juste avant la crise. Et puis aussi, pour faire bonne mesure, que Carlos Ghosn était résident fiscal aux Pays-Bas depuis 2012, c’est-à-dire qu’il faisait ses affaires en France mais n’allait tout de même pas payer des impôts chez nous pour qu’ils soient redistribués aux ploucs.

La rémunération des hauts-fonctionnaires, comme Chantal Jouanno, est abusive. C’est certain. Il n’empêche qu’on a la fâcheuse impression qu’il s’agit là d’une belle manip pour que le populo se trompe de colère. S’en prendre à la rémunération des fonctionnaires ou des élus, c’est la carte préférée des gouvernements libéraux. Ils oublient juste de dire que payer correctement des fonctionnaires et des élus, c’est se garantir de la corruption et être assuré de la qualité du service public.

Mais voilà, il faut absolument nous faire oublier ces cinquante-sept milliards de dividendes du CAC 40. Cinquante-sept milliards pour des actionnaires quand on nous répond qu’il est impossible d’augmenter le SMIC, les minima et les pensions. Et nier au passage que la principale cause de la colère des Gilets jaunes est d’abord dans la répartition des richesses entre le capital et le travail ? D’ailleurs, qui a déclaré, le 20 décembre : « Qu’il y ait autant de dividendes distribués et pas assez d’augmentations de salaires, personnellement ça me choque »  ? Gérald Darmanin himself, le célèbre ministre bolchévique.

Dernier livre publié : La petite gauloise (Manufacture de livres).