La politique du virus

par LEROY JEROME
Publié le 6 mars 2020 à 11:13 Mise à jour le 5 mars 2020

Donc, il y a une épidémie. Le Coronavirus, ou le COVID-19, comme vous voudrez, occupe l’essentiel de l’actualité. C’est normal, me direz-vous. Toute la question est pourtant de savoir comment il occupe cette actualité.

Les hommes politiques sont unanimes, ou presque. Devant la gravité du péril, c’est l’union sacrée derrière le gouvernement si on excepte l’habituelle bêtise des populistes qui, de Éric Ciotti à Marine Le Pen, profitent sans vergogne de la peur pour faire passer leurs habituelles marottes : fermeture des frontières car il est bien connu que le virus chinois est une sorte de migrant clandestin qu’on reconnaît à ses yeux bridés. C’est la même inconséquence que lorsque ces xénophobes demandent la suppression de l’Aide médicale d’État pour les étrangers sur notre sol, au nom de la préférence nationale, sans réfléchir un seul instant que cette aide médicale peut précisément aussi servir à repérer et à soigner des malades contagieux qui, sans elle, seraient perdues dans la nature.

Passons sur ces réactions aussi stupides que dangereuses, mais ne soyons pas naïfs pour autant. Le Coronavirus est aussi un formidable révélateur des contradictions du capitalisme mondialisé. Voilà qu’on fait semblant de découvrir que la Chine est, selon le cliché journalistique, devenue « l’usine du monde », que la Chine à l’arrêt, cela signifie un danger pour l’économie et, ce qui est tout de même un peu gênant par les temps qui courent, une éventuelle pénurie de médicaments parce qu’ils sont fabriqués là-bas.

Évidemment, sauf du côté de la gauche, personne ne va jusqu’au bout du constat et ose demander pourquoi les grands labos français ne les produisent pas chez nous ? Tout simplement, vous l’aurez deviné, parce que c’est moins cher en Chine. Et ce qui est valable pour les téléphones portables, les fringues et de plus en plus de produits manufacturés, l’est aussi pour le paracétamol. La course au profit, le moins disant social, la désindustrialisation cynique de la France apparaissent ainsi en pleine lumière.

On doit même supporter les inquiétudes des libéraux pour qui le nombre de mortsdéjà effectif ou à venir n’est pas grand- chose face à la chute de la Bourse. « Et notre croissance, alors ? Et nos pauvres actionnaires ? » L’absurdité de la situation ferait rire si elle n’était pas tragique.Les capitalistes sont ces gens qui continueront à vouloir gagner de l’argent même pendant la fin du monde et le camarade Lénine avait déjà bien compris leur logique suicidaire quand il disait qu’ils seraient même capables ne nous vendre la corde pour les pendre. Le problème, aujourd’hui, c’est qu’on aimerait bien qu’ils ne nous entraînent pas avec eux dans leur fin.

Ce que révèle aussi le Coronavirus, c’est l’hypocrisie du pouvoir vis-à-vis de notre système de santé. Alors qu’Agnès Buzyn a quitté son ministère pour les municipales en pleine crise des hôpitaux, on ne tarit pas d’éloge sur l’excellence de notre système, le meilleur du monde, sur la compétence et le dévouement des soignants. En tout cas, si c’est toujours vrai,ce n’est pas grâce à Macron, qui, là comme ailleurs, ne fait qu’appliquer une logique comptable dans le mépris le plus total des blouses blanches et des urgences au bord du désespoir et de l’épuisement.

Alors qu’il est venu parader, le 27 février, à l’hôpital de la Pitié- Salpêtrière comme un général passant ses troupes en revue, il y a quand même eu un neurologue pour lui faire remarquer, dans une phrase cinglante : « Vous savez, quand il a fallu sauver Notre-Dame, il y avait beaucoup de monde. Là, il faut sauver l’hôpital public qui est en train de flamber à la même vitesse. » Alors, oui, le Coronavirus fait de la politique. Se mobiliser contre lui est une chose, mais il ne faut pas oublier de quoi il est le nom : celui de la déraison capitaliste qui a fait de la santé des hommes une marchandise comme une autre.