La statue de Colbert

par JEROME LEROY
Publié le 19 juin 2020 à 14:06

Nous sortons à peine d’une pandémie qui a révélé les pires inégalités sociales et a montré à quel point notre société était injuste et notre monde fragile

Alors que le virus mettait la planète à l’arrêt, sauf à être extrêmement naïf, il était évident que le capitalisme ne dormait que d’un œil, que les déclarations emphatiques de Macron sur le « quoi qu’il en coûte » sonnaient faux et qu’une fois déconfinés, nous serions confrontés à une reprise en main néo-libérale sans pitié.

C’est pour cela qu’il y a quelque chose d’inquiétant à ce qui se passe en ce moment en France. La réaction mondiale à la mort atroce de George Floyd a suscité chez nous des manifs dirigées pour l’essentiel contre la police. Il est vrai que la police,qui vote à 60% pour le RN,a tendance à maintenir l’ordre dans les cités comme le ferait une force coloniale, même s’il ne faut pas oublier que la police est ce qu’en fait le pouvoir.

Le problème est que cette contestation contre le pouvoir ne se fait pas en termes de classes. Il faudrait tout de même redevenir un peu marxistes. Une opposition au capitalisme ne peut pas se réduire à une opposition entre « niches victimaires »  : les Noirs contre les Blancs, les femmes contre les hommes, etc. La seule chose dont a vraiment peur le capitalisme, ce n’est pas des cortèges anti-flics. La seule chose dont il a peur, c’est qu’on exige de lui dans la rue, au minimum, de rééquilibrer la rémunération du capital au profit de celle du travail.C’est ce qui me gêne dans cette dangereuse importation des schémas américains racialistes en ce moment. Macron en salive déjà de bonheur et avec lui tout le patronat. Macron sera trop heureux de montrer sa grandeur d’âme, de demander à sa police d’arrêter le placage ventral et de retirer des statues de Colbert. Il le fera pour une raison simple : parce que ça ne lui coûte pas un rond. Et que ça ne met pas en cause sa religion à lui, celle des premiers de cordée et sa glorification des riches contre « ceux qui ne sont rien ».

Parce que pendant qu’on défile contre la police, on ne défile pas pour autre chose. Les infirmières, par exemple, qu’elles soient noires ou blanches, se sentent à nouveau très seules : plus d’applaudissements aux balcons et un beau foutage de gueule au Ségur de la Santé au point que des syndicats quittent déjà la table. Et l’extrême droite, à laquelle des médias complaisants servent la soupe, revient en force, trop heureuse de voir un affrontement racial se substituer à la question sociale. Le pou- voir n’a même plus besoin du théorème du Guépard, vous savez le film de Visconti où il est dit qu’il faut que tout change pour que rien ne change. Pour Macron, il faut juste que rien ne change.Et rien ne change dans son intention de réformer par points les retraites, de ratiboiser les indemnisations chômages, de ne pas revenir sur la disparition de l’ISF. On sent d’ailleurs déjà pointer cette petite musique de la régression sociale dans différentes déclarations ministérielles.

L’antiracisme, aussi généreux soit-il, est tout sauf un programme politique. Je le sais, je suis de la génération « Touche pas à mon pote ». Dans les années 80, il a fallu montrer que les immigrés de la deuxième génération étaient des Français à part entière, c’était l’époque de la magnifique marche des Beurs. Mais aujourd’hui, il ne s’agit plus beaucoup d’antiracisme et surtout de communautarisme. L’antiracisme, malgré lui, est devenu l’alibi moral d’une bourgeoisie qui veut avoir bonne conscience et ne fait rien pour changer l’horreur économique dont les minorités qu’elle prétend soutenir sont les premières victimes. Elle peut même faire semblant de ne pas voir la monstrueuse vague de licenciements qui arrive et qui elle aussi sera merveilleusement antiraciste et ne fera pas de différences de couleur de peau quand elle va renvoyer les Français, à l’automne, du côté de Dickens et Zola. Surtout si on continue à parler de la statue de Colbert au lieu nous préparer, tous ensemble, à y résister.