Le Joker ? Une bonne affaire...

par JEROME LEROY
Publié le 8 novembre 2019 à 09:55

Vous avez peut-être vu Joker  ? On ne parle que de ce film qui cartonne au box-office. Joker raconte l’histoire malheureuse et violente de celui qui deviendra le pire ennemi de Batman.

Jusque là, le Joker était un simple méchant, un méchant déguisé en clown, le visage déformé par un sourire sarcastique. Dans le film qui est sorti il y a quelques semaines, on voit le Joker sous un autre angle : il est en fait une victime de la férocité du libéralisme sauvage façon Reagan. Même si le film n’est pas daté, on peut penser qu’il se passe au début des années 80. On est à Gotham, ville qui n’existe pas mais qui est le symbole de la grande métropole américaine et en particulier de New York. Le Joker qui ne s’appelle pas encore le Joker vit avec une mère impotente et va consulter pour des problèmes psychiatriques.

Un milliardaire veut se faire élire à la mairie parce que la ville sombre dans le chaos, sur fond de grève des éboueurs et délinquance. Il a un programme anti-pauvres et d’ailleurs le futur Joker se fait supprimer les aides sociales dont il bénéficie pour des raisons budgétaires. Comme il est atteint d’une maladie neurologique qui le fait rire sans raison, il devient compliqué de payer son traitement d’autant plus que sa carrière d’humoriste tourne mal.

À la fin, excédé par les humiliations, il tue trois traders dans le métro, le soir, alors que les types harcelaient une fille. Il avait encore son déguisement et il devient le symbole, assez vite, d’une révolte anti-riches qui tourne à l’émeute.

Le film est bien fait, c’est une remarquable performance d’acteur, il restitue parfaitement dans son atmosphère pluvieuse, pré-apocalyptique, le désespoir des plus défavorisés. Bref, comme l’a dit la critique, parfois pour s’en féliciter, parfois pour le déplorer car il ne faut pas oublier que la critique ciné, c’est aussi une idéologie, il s’agit d’un film anticapitaliste, d’un appel à l’insurrection qui d’ailleurs enflamme Gotham dans les dernières images.

Beaucoup aussi s’étonnent que Hollywood finance un tel film qui finalement transmet au grand public un message anticapitaliste. Et de dire que ce n’est pas en Europe que l’on verrait ça où les cinéastes de gauche, façon Ken Loach ou Guédiguian sont condamnés à de petits budgets et finalement ne touchent que des spectateurs déjà convaincus. J’ai, à titre personnel, connu ça quand j’ai travaillé sur le scénario de Chez Nous avec Lucas Belvaux qui démontait les mécanismes de la banalisation de l’extrême droite.

Mais il ne faut pas s’étonner ou s’extasier. Hollywood comme toute grande indusrie capitaliste est pragmatique. Elle sait que, d’une certaine manière, la critique sociale et le refus de l’économie de marché sont à la mode, ou en tout cas touchent une partie non négligeable de sa clientèle. C’est comme ça qu’elle réagit, l’industrie capitaliste du cinéma : elle raisonne en termes d’études de marché. Et l’idée est que le capitalisme, s’il s’y prend bien, peut faire de l’argent avec un film anticapitaliste. Que le film anticapitaliste est rentable. Hollywood avait déjà compris ça avec la guerre du Vietnam. L’ opinion américaine était en partie opposée à la guerre, notamment les jeunes qui sont la population qui va le plus au cinéma. Eh bien donnons-lui des chefs d’œuvres antimilitaristes comme Apocalypse Now ou Voyage au bout de l’enfer. Certes, ce sont des chefs d’oeuvres, mais des chefs d’œuvres qui n’ont rien changé. Depuis, l’Amérique a mené bien d’autres guerres. Joker aussi est un grand film mais ce n’est pas lui qui va pousser à renverser le système. Il ne fait que mettre sur l’écran cette envie de renverser le système. Nuance.

Là où je veux en venir, c’est que le capitalisme est tellement flexible, malin, rusé, qu’il est capable d’intégrer sa propre contestation, sa propre critique et d’en faire un spectacle, on le sait depuis Debord. Exactement comme pour les tee-shirts de Che Guevara : le capitalisme sait tout faire, y compris transformer un révolutionnaire en moyen de mettre en valeur une paire de seins.