Pas de trêve pour les premiers de cordée !

par JEROME LEROY
Publié le 10 janvier 2020 à 18:06

Avec cette étonnante grève contre la réforme qui semble vouloir persister et battre les records de longévité d’un mouvement social, on peut dire que l’année commence bien. Je la souhaite combative et heureuse à tous les lecteurs de Liberté Hebdo.

Sachez que vous avez fait partie des vilains qui n’ont pas respecté la « trêve de Noël ». On a surtout utilisé dans les médias cet « esprit de Noël » pour faire honte aux grévistes. Les grévistes allaient empêcher les familles de se retrouver, les grévistes allaient prendre les usagers en otage. Premier miracle de Noël, en tout cas, le mot « usager » a fait sa réapparition pour remplacer celui de « client » alors que le mot usager indiquait pourtant quelque chose d’affreusement désuet depuis au moins vingt ans. Se vouloir « usager » de la SNCF pour aller voir sa grand-mère à Romorantin et faire le réveillon avec elle, vous voulez rire ?

La modernité, c’est être « client » d’un TGV InOui pour faire Paris-Lyon en deux heures ou d’un Thalys pour Bruxelles et parler entre premiers de cordée dans des réunions sérieuses. L’incarnation de cet esprit de Noël où se mêle une immense joie à un immense dénuement, pour tout dire, est assez éloignée du type de société que prône le macronisme à un point qui a rarement été aussi décomplexé.

C’est-à-dire une société de marché où tout se vend et tout s’achète, où tout est marchandise, même le temps qui vous restera à vivre entre le travail et la mort : il se comptabilisera par points que l’on complètera par des fonds de pensions spéculatifs.

Mais cette tentative de retourner cyniquement l’opinion en jouant sur un calendrier n’a pas réussi. C’est une bonne nouvelle. Et s’il avait fallu une preuve que ce mouvement est légitime, il n’ y a qu’à voir comment se sont conduits les premiers de cordée pendant ces fêtes Je vais prendre trois exemples. Le premier, c’est Carlos Ghosn. L’ex- pédégé de Renault-Nissan, présenté naguère comme un patron de génie. Il s’est retrouvé plusieurs mois en taule au Japon pour de gigantesques truanderies fiscales.

En France, on s’est aperçu qu’il utilisait l’argent de l’entreprise pour tout et n’importe quoi, y compris des fêtes somptueuses au château de Versailles privatisé pour l’occasion. On notera au passage que cette nomenklatura , si soucieuse des équilibres budgétaires des États, n’hésite pas à se goberger dans des monuments historiques dont, in fine , ce sont vous et moi qui payons l’entretien avec nos impôts. La justice japonaise met Ghosn en résidence surveillée pour adoucir un peu sa détention. Mais dans le monde de 2020, quand vous êtes riche et très puissant, tout est possible, même vous évader en jet privé alors que vous êtes la personne la plus surveillée du pays. Jamais l’expression « être au-dessus des lois » n’aura été si juste.

Le deuxième exemple est moins connu. C’est Jean-François Cirelli, le patron de la branche française de BlackRock. Jean- François Cirelli a été élevé le 31 décembre au grade d’officier de la Légion d’honneur par le Premier ministre. BlackRock, c’est l’organisme financier US qui gère des fonds de pension, c’est-à-dire qui a tout intérêt à ce que disparaisse la retraite par répartition en France. Vous ne rêvez pas, le 31 décembre ! On vous demande une trêve, mais eux ne la respectent jamais en décorant un type qui veut achever notre modèle.

Le troisième exemple, c’est Macron lui- même pendant ses vœux. Ne croyez pas qu’il soit déconnecté. Il sait très bien ce qu’il dit, et ce qu’il fait. Sa feuille de route donnée par les Ghosn ou les Cirelli est claire : « Tu as cinq ans pour démanteler l’État-providence français. » Et donc, pour comprendre ce que pense Macron, il faut juste comprendre le contraire de ce qu’il dit. Un seul exemple suffira. C’est la première fois qu’il citait le Conseil national de la Résistance en prétendant s’inscrire dans son histoire. Il suffira de savoir, comme l’avait avoué Kessler du Medef il y a quelques années, qu’en fait, il veut l’achever.