Pourtant, jusque-là, c’était plutôt drôle...

par JEROME LEROY
Publié le 21 février 2020 à 12:32

On n’a pas tellement envie de parler de ce qui est arrivé à Benjamin Griveaux. D’abord parce que ce n’est pas arrivé seulement à Benjamin Griveaux, c’est arrivé à nous tous, en tant que citoyens d’une démocratie. On peut, ce qui était notre cas, trouver que Griveaux incarnait le pire de la macronie, opportunisme, cynisme, mépris de classe, arrogance, et constater que cette histoire est un symptôme : celui de l’abaissement de la démocratie par une utilisation de type fasciste des réseaux sociaux.

Aujourd’hui, les réseaux sociaux deviennent l’arme absolue de milices virtuelles qui chassent en meute. Que la cause soit juste ou non, que tel écrivain soudain traqué ait été un pédophile, que tel grand cinéaste soudain déprogrammé ait été condamné dans une affaire de viol il y a près de cinquante ans ou que tel homme politique se soit filmé dans une sextape, les réseaux sociaux font justice eux- mêmes, ils lynchent, ils brisent des vies, des carrières, des familles, sans que les choses aient d’abord été jugées s’il y a lieu.

On aurait tort de croire que ça n’arrive qu’aux autres : quotidiennement des lycéens et des lycéennes sont victimes de « revenge porn » , des collègues sont dénoncés pour des propos tenus sur le patron ou sur un autre collègue. Internet, qui à l’origine était une utopie libertaire d’entente universelle, est devenue une Kommandantur électronique planétaire qui reçoit des millions de lettres de dénonciation virtuelle. Encore une fois, derrière ce désir de « transparence » , on voit une hideuse pulsion de mort, une pulsion fasciste.

Pourtant la campagne des municipales 2020 pour Paris, jusque-là, avait quelque chose de comique. Les propositions d’un certain nombre de candidats parmi les plus en vue étaient hautement farfelues. Dans quelle boîte à idées Benjamin Griveaux, justement, avait pêché son désir de transformer la gare de l’Est en un « Central Park » qui serait, selon le cliché consacré, un nouveau «  poumon vert » pour la capitale ?

On a bien une petite idée : inutile d’aller chercher du côté d’un mystérieux think tank écolo-social-libéral. Tout était déjà dans le formidable programme électoral du Captain Cap, candidat dans la deuxième circonscription du IX ème arrondissement en 1893. On se reportera avec bonheur, pour en savoir un peu plus, au livre d’Alphonse Allais paru en 1902, Le Captain Cap. Ses aventures, ses idées, ses breuvages. [1]

Ce qui a plu sans doute à tous les candidats, en cette époque où l’on a honte de ses propres étiquettes politiques, c’est que le Captain Cap vient de la société civile. Marin et baroudeur, il avait notamment découvert « des mines de charcuterie  » aux États-Unis.

« Homme neuf, j’arrive avec des idées neuves. Je veux vous faire profiter de ces idées, et c’est pourquoi je viens à vous. Si vous me nommez, c’est un honnête homme que vous élirez. Je ne crois pas devoir en dire davantage » déclare-t-il dans sa profession de foi que Cédric Villani aurait pu faire sienne, lui qui écrit dans son programme : « En me présentant à la mairie de Paris, je ne cherche ni la notoriété, ni un métier. Dans cette élection, je suis certainement le seul candidat qui ne soit pas un homme politique professionnel, et je n’aspire pas à le devenir. » Le Captain Cap a existé, au moins en partie. Il s’appelait Albert Capron, il s’est effectivement présenté et a recueilli 143 voix, essentiellement celles des écrivains venus de la bande des Hydropathes, qui écumaient le Quartier latin et le cabaret du Chat noir, à Montmartre.

Un certain nombre de propositions du Captain Cap ne sont guère plus absurdes que celles qu’on peut lire ici et là aujourd’hui : « La place Pigalle, port de mer » a-t-elle beaucoup à envier à la « création de forêts urbaines, place de l’Hôtel de Ville » alors que, déjà, en 2014, NKM voulait aménager les stations de métro abandonnées en « lieux de convivialité comme des piscines » ? Le problème, c’est qu’Alphonse Allais et Albert Capron étaient des maîtres de l’humour et du canular aimable alors qu’aujourd’hui nous avons affaire à des candidats au sérieux en acier trempé.

Notes :

[1Le Captain Cap. Ses aventures, ses idées, ses breuvages, Alphonse Allais, éditions Sillages, 224 p., 14,50 € ).