Un certain 28 juin

par JEROME LEROY
Publié le 29 mai 2020 à 16:28

La semaine où l’on apprenait, au grand dam de la droite, des médias et même de certains de nos putatifs alliés, que le PCF était le troisième parti de France en nombre d’élus municipaux, voilà que le Premier ministre annonce le second tour des municipales pour le 28 juin. J’ai d’abord envie de revenir sur le premier tour, le 15 mars. J’ai, à titre personnel, et je crois que cela a été partagé par beaucoup, très mal vécu ce moment. Je ne parle pas sur un plan immédiatement politique. Après tout, malgré l’abstention catastrophique, voir les macronistes prendre une taule et la gauche retrouver des couleurs alors que le RN restait dans sa niche et n’allait pas mordre d’autres mollets municipaux, c’était plutôt plaisant. Non, je parle de la situation dans laquelle nous a mis le gouvernement et sans doute pas mal de partis. Maintenir ce premier tour alors qu’on fermait les écoles le lundi et qu’on annonçait un confinement inédit avait quelque chose de schizophrénique dans la contradiction dont nous sommes tous plus ou moins responsables et victimes : le conseil scientifique qui a dit c’est possible, le gouvernement qui a maintenu le scrutin et la plupart des partis qui le voulaient aussi et menaçaient de crier au coup d’état démocratique. J’étais en résidence d’écriture pour le mois de mars à la Villa Yourcenar, au Mont-Noir, et je suis revenu le samedi avec la presque certitude que je ne rentrerais pas le lundi : la directrice était déjà convaincue que la Villa allait fermer ses portes. C’est sans doute là que j’ai pris la mesure de ce qui s’annonçait vraiment. Alors en revenant à Lille, j’ai commencé à téléphoner aux copains en leur disant que je pensais plus prudent de ne pas nous réunir le dimanche soir comme on a l’habitude de le faire chez l’un ou chez l’autre pour commenter les résultats en mangeant des pizzas et en nous engueulant car rien n’est plus agréable que de s’engueuler entre copains qui pensent la même chose. Le problème, c’est qu’alors que je me donnais des allures de trouble-fête, le lendemain matin, je suis allé voter. Parce que je n’ai pas manqué un scrutin depuis que j’ai le droit de vote. Je me souviens encore du gel hydroalcoolique à l’entrée du bureau, du président et des assesseurs masqués, du peu d’électeurs présents, de nos gestes maladroits. Nous n’avions pas peur, je ne crois pas, nous étions juste désorientés. Je me souviens d’avoir eu un peu honte en déclinant l’offre de venir aider au dépouillement alors que je suis souvent volontaire. C’est donc que j’étais à la fois conscient et inconscient de ce qui se passait. Je pensais contre moi-même, en proie aux injonctions contradictoires. Ensuite, j’ai appris que trop de celles et ceux qui avaient tenu les bureaux étaient tombés malades et parfois en étaient morts. J’ai détesté ça, me retrouver malgré moi dans une position aussi fausse. On remet ça le 28 juin, donc. Cette fois-ci, on peut espérer que le virus sera vraiment sur le départ et que tout le monde sera équipé comme il convient. On peut espérer que nous serons rodés aux gestes barrière. Et qu’ainsi le vote du 15 mars prendra son sens. Il n’empêche que je n’aime pas les réactions des politiques qui me donnent l’impression de ne pas être contents de cette date mais ne l’auraient pas été non plus s’il avait fallu faire deux tours en janvier. Je n’aime pas les arguments qui n’en sont pas vraiment : il y aura une prime aux sortants, on ne pourra pas faire campagne, etc. J’irai pourtant voter, comme le 15 mars. La particularité de ce geste démocratique qui consiste à mettre un bulletin dans une urne, c’est qu’il est un droit et un devoir à la fois. Il me semble important de toute manière d’exprimer le rejet de tout ce qui s’apparente de près ou de loin au macronisme. Et puis je me dis qu’au moins le soir du 28 juin, on pourra se voir et manger des pizzas en nous engueulant. Il sera là, le retour à la normale, dans cette fraternité. Une fraternité avec distanciation sociale mais une fraternité retrouvée, malgré tout.