Une certaine impatience

par JEROME LEROY
Publié le 18 octobre 2019 à 10:10

ll suffit, au hasard d’une chaîne de cinéma, de regarder un film de 1980, - je pense à Cocktail Molotov de Diane Kurys - pour mesurer à quel point le monde s’est droitisé.

Cocktail Molotov se passe en mai 68. C’est un road movie lent avec trois jeunes gens. Il va d’abord les mener jusqu’à Venise pour prendre un bateau pour Israël et vivre dans un kibboutz.

Comme il n’y a plus de bateau pour Israël et qu’on leur vole leur 2CV, ils font le chemin du retour vers Paris en stop, ce qui n’est pas commode en plein mai 68.

Ils croisent un échantillon assez représentatif de la France de l’époque où, dans les bistrots, les épiceries, les chemins creux, ils rencontrent un routier sympa, un élève de lycée technique content que tout pète, le père de l’élève qui les accueille pour la nuit et qui est un CRS dépressif après avoir trop tapé sur des jeunes du côté de la rue Gay-Lussac, - on croit rêver -, un bellâtre en décapotable, j’en passe et quelques autres.

La jeune fille s’aperçoit qu’elle est enceinte bien qu’une copine affranchie lui ait passé avant de partir une plaquette de pilules qu’elle ne pouvait pas obtenir, étant mineure. Le trio se sépare un peu. La jeune fille retrouve son vrai père à Lyon. Il l’emmène avorter en Suisse.

L’avortement, décidé seule par la jeune fille, ne cassera pas le couple. Il se retrouvera à Paris et repartira presque aussitôt sur la route dans la DS blanche taguée, toujours conduite par Cluzet, puisque Mai s’est fait sans eux et que l’ordre revient en France.

On sent dans ce film une liberté de ton et surtout on en retire l’impression que dans cette France-là qui paniquait face à sa jeunesse, la droite, les forces de la réaction étaient moins violentes qu’aujourd’hui. Il suffit de comparer le bilan humain de la révolution de mai et celui de la révolte des Gilets jaunes.

Dans cette France de 68 et des années 70, jamais on n’aurait imaginé qu’un Zemmour, auteur d’un discours qui est de l’ordre de l’appel à la guerre des races, à la guerre civile, soit relayé aux informations. Oui, si on compare l’atmosphère du film de Diane Kurys avec notre époque, on voit à quel point on s’est habitué à l’innommable.

Alors, on se dit qu’il y a tout de même un problème de méthode, tout simplement, dans la résistance totalement inefficace opposée au néo-capitalisme et au Disneyland préfasciste qui s’installe tranquillement, disons depuis 2007. La gauche parlementaire est divisée à chaque élection en six ou sept formations, malgré des appels incessants du PCF à l’union depuis des années. Et pour la gauche extra parlementaire, c’est pire. Le byzantinisme intersectionnel, les microniches des protestations indigénistes, une ultragauche radicale qui prêche des convaincus en circuit médiatique fermé et s’occupe surtout à des exclusions mutuelles, des antifas et des black blocs qui ne théorisent pas l’instrumentalisation dont ils sont l’objet.

Bref, tout le monde est très pur, tout le monde a les mains blanches mais au bout du compte personne n’a de mains. Le seul mouvement qui a fait vaciller le pouvoir, finalement, c’est des gens de tous les jours, excédés par les frigos vides le 15 du mois. Et les GJ ne sont pas nés des gesticulations oratoires sur les réseaux sociaux qui ne leur ont donné aucune arme théorique dans cette reprise de conscience de classe spontanée.

Par contre, qu’est-ce-qu’ils ont été commentés ! Si les commentaires avaient été des ronds-points, Macron était renversé en un mois. Sinon, au Portugal, un gouvernement socialiste aiguillonné par des formations de gauche écolo-marxistes qui ont soutenu sans participer, a fait infiniment plus depuis 2015 pour redonner un peu de bonheur au quotidien d’un peuple martyrisé par l’austérité décrétée par l’UE en 2011. Il vient d’être réélu. C’est ça, la politique. Une histoire de pudding qui existe parce qu’il se mange.

  • Derniers ouvrages parus : Lou, après tout, tomes 1 et 2 (Syros)