Une phrase de droite

par JEROME LEROY
Publié le 29 mars 2019 à 15:16 Mise à jour le 30 mars 2019

Il y a des phrases de gauche et des phrases de droite. C’est comme ça. Il y a des phrases que quelqu’un de gauche ne pourrait pas dire. Parce qu’elles ne lui viendraient tout simplement pas à l’esprit.

A quoi reconnaît-on une phrase de droite ? A son vocabulaire ? Pas forcément. Prenons le mot peuple. Il est évident que dans la bouche d’un député RN, il n’a pas du tout le même sens que dans celle d’un député communiste. Quand le premier pense race et droit du sang derrière, le deuxième pense classe sociale dominée. Alors, au ton sur lequel elle est prononcée ? On se rapproche. Il y a vite une sale musique condescendante dans la phrase de droite. Ecoutez parler les députés LREM qui sont envoyés faire de la retape à la téloche.

C’est plus fort qu’eux. Ils finissent par parler à leurs opposants ou aux journalistes comme à des débiles légers qui ne comprennent pas la lumière qui émane du Danube de la start-up nation. Pour les journalistes, ce n’est pas très grave. Ils ne se vexent pas car eux-mêmes prononcent des phrases de droite, tout le temps, sans même s’en rendre compte tellement ils sont formatés par leur soumission au libéralisme. Voyez comment un journaliste s’entretient avec un patron et comment il s’entretient avec un syndicaliste. Elkabbach, l’inénarrable momie qui sévit encore alors qu’il était déjà journaliste de droite quand j’avais quatorze ans, est leur modèle à tous : obséquieux avec les puissants, arrogants avec ceux qui refusent l’ordre établi.

Mais il n’y a pas que le ton, il y a aussi les phrases que l’on prononce dans certaines situations douloureuses. On ne demande pas des câlins, mais si on pouvait éviter, en plus de prendre des baffes, ce serait un minimum. Je me souviens de Jospin en 1999 déclarant sur TF1 à propos des licenciements boursiers deMichelin : « L’Etat ne peut pas tout ». Vous me direz que Jospin était de gauche. Bon, en fait, il était socialiste ce qui n’est pas la même chose et ce soir-là, il a prononcé une phrase de droite que les ouvriers de Michelin pouvaient aisément traduire par « Démerdez-vous. »

Mais soyons honnête, la pire phrase de droite que j’ai entendue, c’était en 1986. J’avais vingt deux ans et j’étais syndiqué à l’UNEF-SE. J’avais participé au mouvement étudiant qui avait été marqué par la mort de Malik Oussekine. Le premier porte flingue de Pasqua, un certain Robert Pandraud, secrétaire d’Etat à la sécurité, avait réagi à ce massacre par les « voltigeurs » de sinistre mémoire en disant : «  La mort d’un jeune homme est toujours regrettable, mais je suis père de famille, et si j’avais un fils sous dialyse je l’empêcherais de faire le con dans la nuit.  » Dans le genre dégueulasse, c’était quand même champion. Manifester, c’était forcément « faire le con  » et l’air de rien, l’insuffisance rénale devenait un motif interdisant de défiler. Il aurait pu élargir son raisonnement aux hypertendus, aux diabétiques, aux asthmatiques. Le tout noyé dans la fausse compassion du «  père de famille »

IL Y A VITE UNE SALE MUSIQUE CONDESCENDANTE DANS LA PHRASE DE DROITE

Eh bien comme tout se répète, on a eu la semaine dernière, de la part de Macron himself une belle phrase à la Pandraud. Après qu’une femme de 73 ans, Geneviève Legay, ait eu le crâne fracturé dans une charge de CRS à Nice, le premier réflexe de Macron a été de faire la morale : « […] il faut avoir un comportement responsable. […] Je lui souhaite un prompt rétablissement, et peut-être une forme de sagesse. […] Quand on est fragile, qu’on peut se faire bousculer, on ne se rend pas dans des lieux qui sont définis comme interdits et on ne se met pas dans des situations comme celle-ci. » Si je résume, c’est quand même l’histoire d’un banquier de quarante piges qui donne des leçons de sagesse à une septuagénaire anticapitaliste qui vient de se faire tabasser gravement. C’est certain que ce n’est pas chez Rothschild qu’il risquait de se faire « bousculer », Macron. Bref, la vraie, la belle, la bonne phrase de droite, presque chimiquement pure, c’est à lui qu’on la doit. Le pire, c’est qu’on n’est même pas surpris.

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