On en est là

par JEROME LEROY
Publié le 13 avril 2022 à 17:30

Alors voilà, on en est là. Qui n’a pas ressenti les résultats du dimanche 10 avril, pour reprendre les termes familiers et évocateurs de Jean-Patrick Manchette - grand auteur de romans noirs mort en 1995 - comme « les deux mâchoires du même piège à cons ». Les mêmes mâchoires qu’en 2017. Le même choix désespérant entre les autoproclamés « progressistes » et les tout aussi autoproclamés « patriotes ». Entre Macron et Le Pen. Ce qui est sans doute le plus agaçant, c’est que Macron a construit l’extrême droite ou, en tout cas, a contribué à la banaliser, parce qu’il en a besoin pour perpétuer le dispositif. J’exagère ? Si peu… Qui s’est laissé complaisamment photographier avec de Villiers, riant aux éclats, au Puy du Fou ? Qui a téléphoné longuement à Zemmour quand ce multirécidiviste de la haine s’est fait cracher dessus depuis le confinement ? Qui a laissé son ministre de l’Éducation lancer en pleine pandémie une croisade contre l’« islamogauchisme » et le « woke », mots qui appartiennent à la terminologie de l’extrême droite, dans des colloques à la Sorbonne alors que le virus ravageait les écoles ? Et qui a banalisé la répression policière ultra-violente pour casser des mouvements sociaux ? Et qui a laissé des mineurs migrants en centre de rétention ? Macron a la finale qu’il voulait. D’autant plus qu’il place chacun devant ses responsabilités puisque le risque Le Pen est plus grand qu’en 2017. Il est plus grand, parce que si Macron a banalisé l’extrême droite, Le Pen, elle, a phagocyté les thématiques de gauche : le pouvoir d’achat et le retraite à soixante ans. Si Macron est beaucoup plus à droite qu’il ne le dit, Marine Le Pen, elle, n’est pas du tout de gauche. Bref, reposons l’alternative en termes simples : on a le choix entre un ultralibéral et une ultranationaliste. La seule consolation, si elle n’est pas dans le score de Fabien Roussel, elle est en tout cas dans sa campagne des Jours heureux. Lui, contrairement à Mélenchon, il prononce le mot gauche, le mot communiste. Il a rappelé l’existence d’une voix originale, celle d’un parti à qui on doit, historiquement, l’essentiel de l’État-providence dont le démantèlement est en cours et s’aggravera quel que soit le vainqueur du 24 avril. Des Insoumis énervés, surtout sur les réseaux sociaux, tiennent les électeurs communistes et d’autres à gauche pour « responsables » des 400 000 voix qui empêchent l’accession de Mélenchon au second tour. Mais responsables de quoi ? Du fait que Mélenchon n’ait rien fait de son score de 2017 qu’il a obtenu avec l’appui des communistes, qu’aucune construction d’un projet collectif n’ait eu lieu pendant cinq ans ? Et il aurait fallu, dans les dernières semaines, tout oublier des divergences parfois importantes et s’embrasser sur la bouche comme si de rien n’était ? On voit par ailleurs, et là nous serons d’accord avec Mélenchon qui a ce point commun avec les communistes, qu’il faut en finir avec l’élection du président au suffrage universel en général et la Ve République en général. Les trois candidats arrivés en tête n’ont aucune implantation locale, ni Macron, ni Le Pen, ni Mélenchon. Cette élection ressemble davantage à celle d’un roi à qui on va confier le pouvoir absolu ou presque pendant cinq ans. Le contraire de la démocratie….