Notre-Dame et le grand rassemblement

par Philippe Allienne
Publié le 19 avril 2019 à 17:29 Mise à jour le 30 avril 2019

"Un drame d’une rapidité effrayante". Les mots sont empruntés à notre confrère La Voix du Nord. Ils ne font pas référence à l’incendie, lundi soir, qui a détruit une partie de Notre-Dame-de-Paris. Ce drame là s’est déroulé dans notre région, à Flers-en-Escrebieux environ 24 heures plus tôt. C’était dimanche soir, 14 avril. Deux enfants sont morts, brûlés dans l’incendie qui a ravagé la maison familiale. Le feu et la mort d’enfants : cela fait partie des drames les plus atroces que nous aimerions, nous les journalistes, n’avoir jamais à traiter.

Mais le sort frappe sans prévenir, là et quand il le décide. Ce qui s’est passé le lendemain à l’ile Saint-Louis est abominable. Cette fois, il n’y a pas de victime humaine. Mais il y a un peuple tout entier qui se retrouve soudain dépossédé de quelque chose qui, inconsciemment, le tenait aux tréfonds de ses êtres. C’est une partie de son patrimoine, de sa culture, de son histoire que la France vient de voir s’effondrer sous les flammes. L’état de sidération général dans lequel nous sommes très certainement tous tombés a été retransmis à grande échelle par les chaînes de télévision. L’émotion, les larmes, et même le mimétisme d’une présentatrice de JT qui, à l’instar de Jean d’Ormesson se pâmant devant les rivières de sang du génocide rwandais il y a 25 ans, était... sidérée devant la beauté des flammes !

Cela ne retire rien à la réalité de l’émotion et à tout ce que peut porter la destruction d’un tel édifice bâti avec la sueur et le sang d’armées de travailleurs il y a plus de huit siècles. Une cathédrale qui a reçu de nombreux acteurs de notre Histoire et qui porte ces racines chrétiennes auxquelles les dirigeants de ce pays veulent absolument nous voir attachés. Même si c’est faux pour nombre d’entre nous.

Et puis arrivent les réactions des officiels du monde entier, à commencer par celle de Donald Trump qui, du coup, passerait pour un champion de la culture. Suivent, le lendemain, les phrases métaphoriques d’Emmanuel Macron, soudainement débarrassé d’un discours pré-enregistré sensé répondre aux inquiétudes et besoins des Français, sensé résoudre la crise des gilets jaunes. La sidération se transforme en trêve et ravive le mythe du grand rassemblement. La campagne pour les élections européennes marque une pause et le Président entend que la catastrophe doit nous rendre meilleurs. Sachons nous unir pour reconstruire le pays comme nous savons le faire pour reconstruire Notre-Dame-de-Paris. Alléluia !

Point d’orgue : la gigantesque mobilisation de la finance. Pinaud, Arnauld, L’Oréal, Mulliez... Les éditions Gallimard, les collectivités locales et régionales, qui criaient hier contre les baisses de dotations de l’Etat... les dons privés, la collecte nationale... Un milliard d’euros ont été réunis en deux jours. C’est beau, c’est même très beau. On en oublierait que les très généreux mécènes ne cracheront pas sur les déductions fiscales auxquelles ils auront droit. L’ État leur doit bien cela.

La sidération n’a qu’un temps. Les revendications des gilets jaunes ne disparaîtront pas pour autant. L’exigence de justice, d’égalité, de mieux vivre ne partira pas en fumée. Resteront les smicards qui triment, les chômeurs qui trinquent, les plus pauvres des pauvres, celles et ceux qui travaillent mais ne peuvent s’offrir un logement, celles et ceux qui vivent dans des immeubles insalubres et dangereux. Où sont les mécènes ? Où est la solidarité nationale ? Où sont les chantres de l’unit