Le peuple algérien veut retrouver sa fierté

par Philippe Allienne
Publié le 4 avril 2019 à 22:52

Pour un peu, il nous ferait pleurer le vieux président Bouteflika. Très lourdement mis en cause par la rue depuis l’annonce de sa candidature à un quatrième mandat, alors que personne ne l’avait entendu ces six dernières années, le voilà qui écrit deux courriers presque coup sur coup. Le premier pour annoncer son retour sur la scène politique et confirmer qu’il ne lâche rien. Le second est une lettre d’adieux après l’annonce de sa démission et de son départ.

Dans cette lettre, Abdelaziz Bouteflika se rappelle à son humanité et demande pardon au peuple algérien et « à ceux, parmi les enfants de ma patrie, envers lesquels j’aurais, sans le vouloir manqué à mon devoir en dépit de mon profond attachement à être au service de tous les Algériens et Algériennes. »

Nul ne peut savoir, à cette heure, de quoi sera fait l’avenir de l’Algérie et de ses 42,2 millions d’habitants. On sait juste que c’est un proche de l’ancien président, M Bensalah, qui prend les rênes durant la période de transition qui commence. On sait aussi que l’armée a joué un rôle déterminant dans la démission d’Abdelaziz Bouteflika. Elle l’a fait sans se laisser tenter par un putsch et en harmonie avec le désir du peuple. Quoi qu’il arrive dans les prochains jours, les prochaines semaines ou les prochains mois, le destin de ce pays vient de basculer. La jeunesse reprend espoir. La chose n’a rien de banal. L’âge médian, en Algérie, est de 27,5 ans pour les hommes et 28,1 ans pour les femmes. 65,04% de la population a entre 15 et 64 ans. Les moins de 14 ans représentent 29,31%, les 65 ans et plus sont 6,65% [1].

C’est plusieurs générations de ce peuple et de cette jeunesse que le pouvoir a désespérées. En octobre 1988 déjà, la jeunesse n’en pouvait plus de n’avoir aucune perspective. Des études mais pas de travail, pas de logement, pas de projets possibles, pas d’avenir. A l’époque, la révolte a été réprimée. Puis, après une ouverture au multipartisme et la destitution du président Chadli, le pays a cruellement souffert du terrorisme islamiste. Sous l’ère Bouteflika, les rêves de la jeunesse ont continué à mourir, tués par la « mal vie ». Les jeunes diplômés ont fui un système qui ne leur offrait rien, surtout pas la reconnaissance, et qui ne marchait que sur le « piston ». Ils ont fui un clan au pouvoir depuis trop longtemps et qui fonctionnait sur le clientélisme et la captation à son profit de la rente pétrolière. Les femmes ont dû se battre contre le dogme islamiste et une relégation insupportable. Elles sont les plus durement touchées par la non reconnaissance de leurs valeurs et de leurs diplômes. En février de cette année, le peuple algérien a vraisemblablement décidé de reprendre sa vie et son avenir en main. Sans haine et sans violence. Mais avec une détermination aussi solide qu’inespérée.

Oui, même si le peuple n’en a que faire, Abdelaziz Bouteflika peut toujours demander pardon. Mais le pouvoir qui va émerger aura-t-il pris la dimension de l’enjeu et les oligarques se laisseront-ils dépouiller de la manne sur laquelle ils se sont si longtemps engraissés ? Le pouvoir va-t-il réellement accepter d’émaner du peuple et se mettre au service d’un pays qui a soif de liberté ? Le peuple veut retrouver son honneur et sa fierté. Contrairement à celles de 1988, ses revendications sont politiques avant d’être sociales.

Notes :

[1Chiffres 2016