Quand la liberté de la presse devient un délit

par Philippe Allienne
Publié le 13 décembre 2019 à 10:46

Imaginons cette scène (purement fictionnelle bien sûr). De bon matin, alors que des policiers offrent joyeusement des soins de beauté, à coups de sprays de gaz lacrymogène, à des lycéens inquiets pour leur avenir, des journalistes veulent fixer la scène.

On peut comprendre que les forces de l’ordre invitent les visiteurs inattendus à participer à la fête et, au passage, à casser l’appareil photo de l’un d’eux, comme ça, pour rire.

« On est une bande de jeunes, on se fend la gueule ». La police, qui veille chaque jour à notre sécurité dans le cadre d’un État de droit que nul ne songerait à remettre en cause, a été entendue par un élu. Sénateur de l’Héraut, macroniste et ex-Les Républicains, Jean-Pierre Grand s’inquiète que des journalistes puissent encore avoir la possibilité de photographier ou de filmer des policiers, militaires ou douaniers, dans l’exercice de leurs fonctions, « facilement identifiables et donc potentiellement des cibles avec leurs familles ».

Ceci n’est pas (encore) un délit. Photo réalisée sans l’autorisation des intéressé(e)s lors d’une manifestation contre les violences faites aux femmes.
© Philippe Allienne

Comme les policiers (et leurs collègues militaires ou douaniers) ne peuvent demander le floutage de leur visage avant la diffusion des images, le sénateur Grand propose simplement de sanctionner les auteurs ou diffuseurs en infligeant une amende de 15 000 euros. Sauf, précise le saint homme, si les personnes photographiées ont préalablement donné leur accord !

Et encore, cela vaut-il pour les fonctionnaires en situation paisible. Dans la rue, sur leur moto, etc. Mais l’élu souhaite aussi étendre l’interdiction de les photographier durant les manifestations sous peine d’un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Enfin, il propose l’interdiction de révéler et de diffuser l’identité des agents pour l’ensemble des corps des forces de l’ordre.

Imaginez : un journaliste photographie ou filme un policier en train de tabasser ou de gazer consciencieusement un jeune lycéen et, ensuite, il va lui demander l’autorisation de publier. Au policier, pas au lycéen... Il faudra que l’État renforce substantiellement ses réserves de gaz lacrymogène. Plus sérieusement, c’est la loi de 1881 (notamment son article 35) sur la liberté de la presse que Jean-Pierre Grand remet ainsi en cause à travers trois amendements à la proposition de loi de « lutte contre la haine ». Elle sera examinée à l’Assemblée nationale ce 17 décembre. À surveiller de près. La liberté de la presse devient un délit.