On sait dès le départ que les travaux de concertation engagés par le haut-commissaire à la réforme des retraites, en octobre dernier, ne tolèreraient pas que l’on déroge aux objectifs fixés par le gouvernement. C’est la fin programmée des quarante-deux régimes actuels, et donc des régimes « spéciaux ».
Le système « par répartition » doit en principe demeurer : les actifs d’aujourd’hui cotisent pour financer les pensions des retraités d’aujourd’hui. Les grands équilibres financiers devront par ailleurs être respectés. Emmanuel Macron y tient particulièrement, quitte à faire fluctuer la valeur du point. On voit dès lors les limites que posera la réforme en matière de justice. Mais d’ores et déjà, le chantier est en train de coincer au point de fâcher tout rouge Jean-Paul Delevoye. Pour lui, il était bien entendu, et en accord avec le Président, que l’âge légal de la retraite resterait fixé à soixante-deux ans. Cela n’empêche pas des voix discordantes, au sein du gouvernement, à droite et au Medef de se faire entendre.
Côté gouvernement, reculer l’âge du départ (à soixante-trois ans par exemple) permettrait entre autres de financer la réforme de la dépendance actuellement dans les cartons d’Agnès Buzyn. Voilà une première brèche dotée d’un argument aussi percutant qu’étonnant. Le principe de solidarité sur lequel est fondé le système des retraites par répartition doit aussi s’appliquer au financement des Ehpad et du maintien à domicile. CQFD.
Côté patronat, on se montre plus direct. Dans un entretien qu’il accorde aux Échos, Claude Tendil, le vice-président du Medef en charge du social, estime qu’il faut « inciter les assurés à partir plus tard que l’âge légal, comme nous l’avons fait avec notre accord à l’Agirc-Arrco. Il faudra mettre en place une nouvelle décote suffisamment forte pour que les gens soient incités à partir vers un âge garantissant l’équilibre du système. Et cet ‘‘âge d’équilibre’’ peut être déterminé en fonction de l’évolution de l’espérance de vie, des paramètres économiques, etc. ». Argument suprême pour le représentant patronal : « Partout chez nos voisins, l’âge de départ se situe autour de soixante-cinq ans, voire soixante-sept ans. »
Il ne s’arrête pas là. Le régime par répartition, pour lui, ne doit pas exclure une dose de capitalisation. Certes, il la voit « facultative » mais elle serait, assure-t-il, garante d’équité ! « Introduire de la capitalisation serait favorable à la fois pour les salariés, les retraités et pour l’économie française, car la constitution d’une épargne de long terme permet de faire des choix d’investissement structurants. » Voilà qui est édifiant. Que le gouvernement et le Medef travaillent main dans la main n’est évidemment pas une surprise.
Mais on se dirige ici vers une collaboration des plus redoutables qui va jusqu’à se moquer éperdument de ce que peut penser le haut-commissaire. Celui-ci qui peut toujours pleurer sur la parole donnée. Les grands perdants seront de toute façon toujours les mêmes. Et ne parlons pas du rythme d’augmentation de la durée de cotisation à quarante-trois ans, de la pénibilité du travail, du départ en retraite avant soixante-deux ans pour celles et ceux qui ont commencé à travailler très tôt. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises.