« Si tu es un journaliste libre, ta place est en prison ! »

par Philippe Allienne
Publié le 26 février 2021 à 11:19

La phrase est glaçante. Elle a été prononcée par le journaliste Khaled Drareni au micro de Radio France au lendemain de sa libération de prison, en Algérie. Arrêté parce qu’il filmait le mouvement populaire « Hirak », l’an dernier, il aura passé onze mois derrière les barreaux. Cela peut sembler étonnant dans un pays où, en principe, la loi ne permet pas d’emprisonner des journalistes. Mais on sait qu’un pouvoir qui se sent menacé par la liberté d’une expression ne reculera devant rien. Quitte à utiliser des prétextes. Ici, on a accusé le journaliste d’être en fait un espion à la solde de l’étranger et de porter atteinte à l’intégrité nationale. Une accusation récurrente en Algérie. Il filmait pour le compte de TV5. « Lorsque j’ai entendu le président Tebboune expliquer que, suite à une arrestation, je me suis rendu dans une ambassade pour me plaindre, j’ai compris que je resterai enfermé pour un moment. » D’autant que le président avait dit de lui : « On est plus proche du mouchard que du journaliste. » Ce moment a duré près d’un an durant lequel de nombreuses associations se sont mobilisées pour sensibiliser l’opinion sur son cas et pour agacer le pouvoir algérien là où cela lui fait mal : sa réputation à l’extérieur. Cela n’explique cependant pas entièrement la libération du journaliste. Alors qu’il n’a jamais été condamné définitivement, le président en personne décide de le gracier. Avec lui, trente-cinq autres détenus ont pu quitter leur geôle. Là encore, il s’agissait de prisonniers à qui l’on faisait payer leur engagement pour la liberté et la démocratie et la chute de ce qu’ils appellent le « système ». Même ceux qui étaient condamnés définitivement à des peines de prison ferme ont été élargis ce vendredi 19 février. Le pouvoir commencerait-il à vaciller ? Que nenni. Le Hirak, qui tente de reprendre malgré les restrictions dues à la pandémie de Covid-19, est toujours surveillé de près et fait toujours peur. En attendant, Khaled Drareni entend reprendre le travail et continuer à informer le public. « Ce qui dérange le pouvoir, dit-il, ce n’est pas le fait d’être journaliste, c’est celui d’être indépendant. » En attendant, il apporte une belle leçon et un bel exemple de courage. Mais il montre de manière éclatante pourquoi il faut protéger la liberté d’informer et se battre pour elle. Quitte à perdre de sa propre liberté. De ce côté de la Méditerranée, où est un autre pouvoir que l’on ne voudrait surtout pas soupçonner de vouloir encadrer la presse, nous avons tout intérêt à ne rien lâcher, jamais. L’escalade serait tellement rapide.