Un bon journaliste doit coucher

par Philippe Allienne
Publié le 25 septembre 2020 à 12:17 Mise à jour le 26 mars 2021

Gérald Darmanin vient de sortir le Kärcher contre les journalistes. De quoi s’agit-il ? Le Schéma national de maintien de l’ordre (le SNMO - rien que sigle fait peur), qui vient d’être rendu public par le ministère de l’Intérieur, ressemble à s’y méprendre à une interdiction faite aux journalistes de rendre compte des violences policières lors des manifestations. C’est logique : M. Darmanin a déjà dit et redit que les violences policières sont une pure invention.

La violence, c’étaient les autres : les manifestants et les sauvages. Que dit ce texte ? « Le délit constitué par le fait de se maintenir dans un attroupement après sommation ne comporte aucune exception, y compris au profit des journalistes ou des membres d’associations. » Voilà qui est dit et écrit. Un journaliste qui fait son métier est donc un délinquant. S’ils couvrent une manifestation, ils risquent d’être interpellés et d’être poursuivis par la justice. Même chose pour un observateur d’une ONG. « Hors de nos rangs, point de salut ! » fustige le Syndicat national des journalistes.

C’est si vrai que le texte propose que les journalistes soient encadrés par les policiers, une bonne manière pour que, soumis, ils ne courent pas de risques. « Un officier référent, lit-on dans le document, peut être utilement désigné au sein des forces et un canal d’échange dédié mis en place, tout au long de la manifestation, avec les journalistes, titulaires d’une carte de presse, accrédités auprès des autorités. » Et bang dans la tempe. Il faut rester derrière le cul des flics et en plus, posséder une carte professionnelle (ce n’est pourtant pas obligatoire) et obtenir une accréditation (on peut deviner que ce ne sera pas aisé pour tous et toutes).

Depuis la guerre du Golfe, nous connaissions les journalistes reporters de guerre « embedded » lors des opérations de George Bush en Irak. Embedded, que l’on pourrait s’amuser à traduire littéralement par « au lit avec... », est cette méthode qui consiste, histoire de les protéger, mais surtout de les canaliser, à faire suivre les combats par des journalistes portant uniforme américain et restant scrupuleusement derrière les bidasses. En journalisme, il faut toujours choisir un angle. Convenons que la guerre vue derrière l’armée américaine n’est pas la même que la guerre vue derrière les combattants d’en face, ou vue d’un autre angle encore. Ce n’est pas le même angle. Les reportages n’ont pas le même goût. D’un côté, on fait de la communication, voire de la propagande, de l’autre, on informe.