Et Giscard créa le Jeune

JT 20 H TF1 11 mai 1977

Publié le 7 juin 2019 à 16:49

Sous ce titre, peu commun, Grégory Protche nous propose désormais un rendez-vous -tout aussi peu commun- avec la télévision d’hier. Éditeur, biographe, dictateur adjoint du Gri-Gri International et poseur de questions, ainsi qu’il se présente lui-même, le voici désormais chroniqueur pour Liberté Hebdo.

Roger Gicquel. Grand prêtre d’une messe quotidienne que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître : le 20 heures sur TF1 au temps de la télévision publique d’État. En ce 11 mai 1977, il est question d’un « Pacte national pour l’emploi des jeunes ». Lors des élections présidentielles de 1974, consécutives au décès du gros fumeur libéral-gaulliste Georges Pompidou, le grand fumeur radical-socialiste-et-gaulliste-au-moment-des-scrutins Jacques Chirac a trahi le résistant-gaulliste-au-moment-des-conflits Jacques Chaban-Delmas, au profit du libéral ancien ministre des Finances Valéry Giscard d’Estaing, qui, une fois à l’Élysée, l’a en retour fait Premier ministre.

En juillet 1976, pour s’élancer en vue de la présidentielle de 1981, Chirac démissionne. L’économiste réunionnais – camarade de classe de l’avocat Jacques Vergès – et ancien ministre du Commerce extérieur, le libéral Raymond Barre, lui succède. D’où sa présence sur notre capture d’écran [1], en arrière-plan, sous un simili panneau de signalisation étrange : un homme à rayures (un bagnard ?) s’attaque avec une pelle à un tas de ce qu’on suppose être des pierres. Le panneau étant lui-même appliqué à la France comme une compresse.

En 1977, on sort des Trente glorieuses et la crise, cette chère vieille compagne, présente comme une baby-sitter pour les enfants et petits-enfants des baby-boomers, a déjà pris ses aises dans le paysage politico-médiatique français - même si on n’en est pas encore à faire convoler un ancien mao et un ancien communiste comme Serge July et Yves Montand pour nous convaincre, le temps d’une soirée, des vertus du reagano-thatchérisme (Vive la crise, Antenne 2, 22 février 1984 et, le lendemain, la transcription de l’émission dans Libération). Le travailleur immigré, si on lui propose un pécule pour l’encourager à «  rentrer dans son pays  », n’est pas encore tenu pour le maître mal de notre économie.

Le choc pétrolier de 1973 a fait exploser le prix du baril et catapulté « en banlieue  » une partie du petit peuple paupérisé des grandes villes. Parallèlement, la destruction de notre appareil industriel, la liquidation de notre sidérurgie et le saccage de notre politique agricole commencent, mécaniquement, à produire leurs bienfaits : garnir les rangs d’un secteur tertiaire d’autant plus simple à flexibiliser et fragiliser qu’on va, fictivement, le rajeunir. Au prix, selon le sociologue et économiste Bernard Friot, d’un mensonge d’État : «  le chômage des jeunes ».

S’appliquant en réalité aux jeunes actifs – c’est à dire à la recherche d’un emploi -, un taux de chômage de 25%, « cela veut dire que le quart de 30% des jeunes est au chômage. Le quart de 30%, c’est 7,5%, c’est 1 sur 12. C’est le poids du chômage qu’on trouve dans toutes les tranches d’âge et il n’y a aucune spécificité du poids du chômage chez les jeunes. » Apparent paradoxe ou rouerie spectaculaire ultime, alors qu’on le fragilisait économiquement, et donc l’individualisait politiquement et socialement - au motif de la survie -, on concédait au « jeune » la majorité et donc le droit d’exprimer son opinion en votant à dix-huit ans.

Grégory PROTCHE