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Marc Vandepitte

« La Chine est un modèle pour le Sud »

par Philippe Allienne
Publié le 22 novembre 2019 à 13:54

Samedi 30 novembre, salle Masqueliez à Villeneuve d’Ascq, le cercle Henri-Barbusse organise une rencontre débat sur la Chine, 70 ans après sa révolution. Le thème : Comprendre la chine populaire, le socialisme, la relation de la Chine au monde. Parmi les invités : le chercheur Rémy Herrera auteur de « La Chine est-elle capitaliste ? » et Marc Vandepitte, auteur d’ouvrages sur les rapports Nord-Sud, cuba et la Chine. Nous avons rencontré ce dernier. Pour Liberté Hebdo, il confie ses impressions sur la manière dont il faut aborder les réalités de la Chine.

Pourquoi, 70 ans après la révolution chinoise ce pays est-il toujours présenté comme un mystère ?

La Chine, c’est une culture très vieille, très différente de la nôtre. Elle n’a pas subi de phénomène d’occidentalisation comme l’Inde, par exemple. C’est un système politique, économique et social qui reste bien sûr tourné vers le communisme mais de toute façon, la société chinoise fonctionne d’une toute autre manière que nos sociétés. La Chine n’a rien qui relève du mystère sauf à vouloir la diaboliser. On diabolise le système chinois d’abord parce que, au début des années 80, avec les réformes économiques de Deng Xiaoping et les relations qu’il noue alors avec de nombreux pays, dont les États-Unis, l’occident a cru que la Chine prenait un virage vers le capitalisme et que les économies occidentales pourraient en profiter. Cela n’a pas été le cas. L’économie et la technologie chinoises sont devenues des rivales pour les pays occidentaux. Sur un plan idéologique, on a vu que la Chine s’est sortie relativement facilement de la crise de 2008 alors que l’Europe et les États-Unis ont souffert pendant 10 ans environ. La République populaire de Chine dispose d’un système économique, social et politique à ce point efficace que cela en fait un modèle pour le Tiers Monde. Et cela n’arrange pas le capitalisme.

Quid de la démocratie ?

Dans un livre que j’ai écrit avec un auteur chinois, nous interrogeons les habitants sur la démocratie et la censure... Pour la plupart, ils répondent que leur préoccupation première est d’abord leurs conditions de vie. Il y a 70 ans, au début de la révolution, la Chine était le pays le plus pauvre du monde. Le PNB par habitant était la moitié de celui de l’Afrique. Aujourd’hui, les Chinois veulent toujours vaincre la pauvreté. Ils veulent avoir un bon niveau de vie. Cela ne veut pas dire que tout le monde pense ainsi, mais la plus grande partie de la population le pense. Selon un sondage du Pew Research Center [1], 80 % des Chinois sont satisfaits de leur gouvernement et estiment que le Parti communiste et le gouvernement ont une légitimité très grande. Il faut voir que la direction est très forte au sommet de la pyramide. En bas, dans les communes, il y a de la démocratie. Entre les deux, les innovations politiques, sociales ou économiques sont préalablement testées à l’échelle de quelques villes ou provinces, en tenant compte de l’avis des habitants, et sont évaluées et corrigées avant d’être généralisées.

Quel est le rôle, aujourd’hui, du Parti communiste chinois ?

C’est la colonne vertébrale du pays. Il a plus de 90 millions de membres. C’est l’organisation politique la plus grande du monde. La Chine, c’est 17 fois la France. Elle compte autant d’habitants que l’Europe de l’ouest, l’Europe de l’est, les pays arabes, la Russie et l’Asie centrale réunis. Si l’on adapte cette caractéristique à la situation européenne, cela voudrait par exemple dire que l’Égypte devrait être dirigée depuis Bruxelles ! Dans ce contexte, le Parti est une force qui empêche le pays d’éclater. Par ailleurs, le parti communiste recrute les personnes les plus compétentes. La sélection des cadres est très forte et très rigoureuse. Mais encore une fois, il faut se référer aux racines culturelles. Environ 500 ans avant JC, le philosophe Confucius défendait déjà l’idée de confier la direction du pays en fonction du degré de compétences des personnes et non de la filiation.

Qu’est-ce qui caractérise le communisme chinois ?

Le Parti communiste chinois est comparable au PC cubain. Mais le développement économique en Chine reste la priorité. On mise sur la croissance des forces productrices. Les cadres du Parti jouent un rôle très important en intervenant au sein des entreprises. Il y a une planification économique, non rigide, qui marche avec ces cellules en entreprise.

On parle aujourd’hui d’un remake de la guerre froide qui se déroulerait cette fois entre la Chine et les États-Unis. Y croyez-vous ?

Si on considère le PIB mondial, on voit que la Chine est au même niveau que les USA et elle progresse. Les États-Unis ont de plus en plus peur pour leurs multinationales et leurs profits. Même chose vis-à-vis de la technologie chinoise qui progresse fortement. Même remarque pour l’aspect militaire. Il est de plus en plus difficile pour les États Unis d’être le numéro 1. Quant à une guerre froide entre la Chine et les États-Unis, avec Trump ca devient difficile de parler de bloc car il s’oppose à l’Europe, au Japon, etc. Et certains veulent s’aligner avec la Chine contre les États-Unis. C’est complexe. Quand on regarde la carte de la Chine et les bases militaires américaines, on voit que celles-ci encerclent le pays. 60 % de la flotte étatsunienne est là-bas. Les plus agressifs contre la Chine sont les démocrates. Leurs discours et l’investissement militaire sont inquiétants. Cela ne va pas dans le bon sens.

La Chine est accusée de menacer le monde occidental sur le plan économique, technologique et militaire. Quelle est la réalité ?

La Chine a encore beaucoup de retard. Cela dit, on pense toujours que quand un pays progresse, ou rattrape son retard, il représente une menace pour les autres. Ce n’est pas vrai. La Chine est devenue très importante dans l’économie mondiale, pas une menace. Elle est très dépendante de l’économie des autres pays. Avec 18 % de la population mondiale, elle ne dispose que de 7 % des terres agricoles fertiles, elle ne produit que 5 % du pétrole mondial et elle produit plus de biens qu’elle n’en consomme. En même temps, s’il y avait une crise de l’économie chinoise, ce serait une catastrophe pour des pays comme l’Allemagne. Le fait est que le capitalisme est en déclin, alors on cherche un bouc émissaire. La Chine est toute trouvée.

Elle passe aussi pour être un très gros pollueur.

La Chine connaît beaucoup de contradictions. L’environnement en est une grande. Elle est un grand émetteur mondial de CO2 et en même temps, elle est championne pour l’énergie verte. Elle est dans une phase d’industrialisation comme celle que nous avons connue il y a cinquante ans. Beaucoup de produits chinois, qui sont consommés chez nous, produisent du

CO2. Il faut aussi voir que le Nord porte une responsabilité historique dans le dérèglement climatique mais connaît un niveau de vie très haut. Les pays du Sud doivent encore se développer beaucoup. Il faut les aider en faisant des transferts technologiques et en les laissant développer encore leurs industries. Dans ce débat, la Chine a essayé de faire un front avec les pays du Sud contre le Nord et leur permet ainsi d’être davantage soutenus.

Qu’en est-il vraiment de l’influence chinoise sur le monde et notamment sur l’Afrique. La Chinafrique est-elle une réalité ?

Nous avons toujours pensé que l’Afrique était notre territoire. Après la crise des années 80, l’Europe a négligé l’Afrique. Plus tard, la Chine est arrivée en Afrique avec beaucoup de capital. Elle s’est heurtée aux Européens qui ont protesté. Que fait la Chine en Afrique ? Il y a la politique officielle du gouvernement, avec l’importation de ressources minérales et naturelles, mais il y a aussi les petites entreprises qui agissent seules. Les importations ont été avantageuses pour l’Afrique. Et la Chine a beaucoup investi. Dans les négociations, tout n’est pas égal. Cela dépend du pays africain négociateur. Aujourd’hui, la Chine est revenue sur lesx erreurs commises en réalisant des investissements avantageux pour les deux partenaires : la Chine et l’Afrique. Autre opportunité possible pour l’Afrique, la Chine commence à délocaliser vers ce continent.

Une des caractéristiques de la Chine n’est-elle pas de n’être pas impérialiste ?

Lénine voyait deux aspects de l’impérialisme : l’exportation des capitaux d’une part, la domination politique de l’autre. Il est clair que la Chine investit à l’étranger. Mais ce qu’elle ne fait pas, parce qu’elle ne veut pas, ce n’est pas dans sa tradition, c’est de s’y mêler de la politique intérieure et/ou de faire preuve d’agressivité civile ou militaire.

Que peut apporter la Chine au monde, en terme de réflexion politique ?

La grande faute qu’on a faite, au sein de la gauche, c’est de vouloir copier un autre pays et d’en faire un modèle. La Chine est la Chine, elle cherche son propre chemin. Les Chinois ont réussi à éradiquer la pauvreté de manière impressionnante. Ils ont sorti 700 millions d’habitants de la pauvreté. L’objectif de leur économie est l’homme, et non pas le profit. Et surtout, ils ont beaucoup, beaucoup de patience. Je me souviens d’une anecdote. Il y a eu une grande campagne anti-Chine lorsqu’ils ont accueilli les Jeux olympiques. J’avais rencontré un professeur de Pékin, lors d’une conférence internationale à Caracas, et je lui ai demandé ce qu’il pensait de cette campagne. Il a éclaté de rire et m’a dit : « Nous sommes très patients ». Ils prennent leur temps, nous allons toujours trop vite.

« Comprendre la Chine populaire, le socialisme chinois, la relation de la Chine au monde ». Samedi 30 novembre, 14h, Salle Masqueliez, rue Jules Guesdes, Villeneuve d’Ascq. Métro Fort de ons - Pont de Bois, Bus 13. Organisé par le Cercle Henri Barbusse.

Notes :

[1Centre de recherches Pew, think tank américain spécialisé dans les statistiques, les sondages et les analyses sociales.