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Après la prise du pouvoir par les talibans en Afghanistan

Quel avenir pour les hôpitaux de Kaboul ?

par Marc DE LANGIE
Publié le 3 septembre 2021 à 11:02

La rapidité à laquelle les talibans ont pris le pouvoir en Afghanistan a surpris tous les observateurs et politiques occidentaux. En moins de dix jours, le pays est « tombé ». Les derniers ressortissants français ont quitté le pays et le dernier avion américain a décollé lundi dernier, 30 août. Après vingt ans de présence militaire américaine, une page se tourne dans l’histoire de ce pays. Malgré les signes d’apaisement et les promesses faites par certains dirigeants, le chef suprême de ce pays reste pour l’heure invisible et cet État n’a toujours pas de gouvernement, ni d’exécutif. Les aides financières internationales sont suspendues, les banques fermées. En attendant, les inquiétudes du monde médical sont grandes sur le fonctionnement du réseau hospitalier et surtout sur son avenir.

Aides bloquées ou suspendues

« L’Afghanistan est un pays comportant un taux de pauvreté très important. Il n’y a pas d’argent et près de 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et dispose de moins de 2 US$ par jour pour vivre » explique Jean-Claude Sargentini, anesthésiste. Ce médecin à la retraite connaît bien ce pays pour y avoir séjourné et effectué de nombreuses interventions chirurgicales dans des hôpitaux de la capitale. Au cours des dix dernières années, « j’y suis allé entre deux et quatre fois par an, avec des séjours variant de 15 jours à 3 mois ». Son lieu d’intervention : l’hôpital français de Kaboul. « Le seul à disposer d’un service de réanimation dans la ville. Et pour permettre aux enfants les plus pauvres d’accéder aux soins, un fond de solidarité ou “welfare” a été mis en place » indique ce médecin. Un moyen pour donner un accès aux soins aux plus démunis. Le financement apporté par les États membres du Comité d’aide au développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) représentait 141 millions de dollars US en 2013 et n’a cessé de diminuer au cours des années (- 26 % en 2019). Aujourd’hui, toutes les aides sont bloquées ou suspendues, y compris l’aide alimentaire. Résultat : les hôpitaux sont à court de moyens pour payer les fournitures médicales de base et facturent des articles auparavant gratuits. De nombreux patients ne peuvent pas payer ou même ne peuvent être transportés dans des établissements de santé qui sont parfois éloignés de leur domicile.

Pressions et menaces sur les soignants

À cette situation s’ajoute l’angoisse du personnel soignant, autant des infirmiers que des médecins, qui sont terrorisés « et subissent des pressions et menaces quand ils ne sont pas tout simplement tabassés à leur domicile par des talibans. La raison invoquée est toute simple : leur nom figure sur une liste du personnel ayant travaillé avec des Français » poursuit Jean-Claude Sargentini. Faute de moyens et par peur, « les soignants refusent d’aller travailler et continuer à risquer leur vie. Et pour demain, s’interroge cet anesthésiste, que va-t-il se passer ? Qu’en est-il de l’approvisionnement en médicaments, de l’électricité, des opérations prévues ou même du suivi des malades ? ». Un flou et surtout une grande inquiétude pour celui qui est en contact régulier avec des intervenants de cet établissement. Dans ce contexte, de nombreux Afghans ont tenté de quitter le pays avec l’aide des militaires en poste. « Ce sont souvent des personnes éduquées, bien formés et qui ont travaillé avec ou pour les occidentaux dans de nombreux domaines. Cette fuite des cerveaux est un défi pour les talibans qui tentent par tous les moyens de les bloquer. Sachant que les conséquences peuvent être importantes dans de nombreux domaines face à un manque de compétences. » De nombreuses interrogations pèsent encore sur le personnel formé et en particulier les femmes, « plus de 3 000 sages-femmes dans le cadre d’un programme international. C’est peu mais pour l’Afghanistan, c’est énorme. Le taux de mortalité infantile est le plus élevé au monde. Un quart des enfants meurent avant l’âge de cinq ans ! ». Au-delà, c’est aussi la « séparation » des malades hommes-femmes, autant du côté des malades que des praticiens, prôné par les talibans qui « viendra aggraver le fonctionnement hospitalier ». Enfin, c’est un pays avec des us et coutumes traditionnels « qui ajoutent une difficulté à l’amélioration des soins ». Et ce médecin de citer les mariages des jeunes filles, la consanguinité dans les familles, la promiscuité des familles, le manque d’infrastructure, l’éducation, la formation… La question de l’avenir de ce pays et du système de santé reste posée.

Une présence française importante dans le secteur de la santé

L’hôpital français est un établissement important de Kaboul : le seul à disposer d’un service de réanimation. Il comprend une centaine de lits, dont 15 de soins intensifs et de réanimation, un bloc opératoire (quatre salles d’opération), un service d’IRM, un laboratoire d’analyses et une pharmacie. L’effectif atteint 565 personnes dont 538 Afghans. Le budget annuel s’élève à six millions d’euros. On y compte plus de 80 000 consultations par an et 5 000 enfants hospitalisés. En avril 2006 a été inauguré l’Institut médical pour la mère et l’enfant, en partenariat avec la Chaîne de l’espoir dont le fonctionnement est assuré par le réseau de développement Aga Khan. Il comprend 160 lits d’hospitalisation dont 61 en pédiatrie, 16 lits de soins intensifs et de réanimation, 17 lits pour patients cardiaques adultes, 52 lits pour le pôle gynéco-obstétrique, 14 lits de soins intensifs néonatals, six salles d’opération, un service d’imagerie médicale, un laboratoire d’analyses et une pharmacie. Parmi les autres établissements, il y a l’hôpital Indira-Gandhi, dans lequel a été construit en 2013 une nouvelle unité de soins pédiatriques intensifs et une unité de soins intensifs, grâce à la fondation Bayat. Notons également l’American Medical Center (hôpital américain), l’hôpital Atatürk (centre hospitalier turc de 138 lits), le Dasht-e-Barchi Hospital (de Médecins sans Frontières, avec 58 lits) et d’autres centres gérés par l’État afghan (publics et privés).