Christian Chesnot invité du Club de la presse

Comment le Qatar finance l’islam de France et d’Europe

par Philippe Allienne
Publié le 10 mai 2019 à 16:15 Mise à jour le 21 mai 2019

Le Club de la presse Haut-de-France a permis une rencontre des plus intéressantes, mardi 7 mai, à Sciences Po Lille, avec le journaliste Christian Chesnot, grand reporter àRadio France.

Avec son confrère et complice du Figaro Georges Malbrunot, il est co-auteur du livre Qatar Papers (chez Michel Lafon), une enquête au long cours (deux ans de travail) qui nous emmène dans les secrets du financement des lieux de culte musulmans, mais aussi écoles, centres de formation, etc., en Europe et en France en particulier.

Petit émirat du Moyen-Orient d’un peu plus de 11 500 km2 peupléde 2 300 000 habitants, « le Qatar a soif de reconnaissance et excelle dans l’opportunisme », explique Christian Chesnot. Cela tombe bien, l’Arabie Saoudite doit tenir compte de sa position géostratégique et de ses amitiés occidentales. Comme ce pays, pourtant très rigoriste sur le plan religieux, prend ses distances avec l’extrémisme et particulièrement les frères musulmans, le Qatar a trouvéune belle opportunité d’intervenir dans la toile d’araignée internationale de ce mouvement crééen 1928 en Égypte.

Tout est parti, confie le reporter d’une cléUSB qui leur a été envoyée anonymement. Le lanceur d’alerte y avait accumulé un nombre considérable d’informations révélant que le Qatar, via Qatar Charity, une grande et puissante ONG qatarienne, finançait de nombreuses mosquées dans le monde. « Il nous a fallu un an pour faire traduire et pour analyser ces données et documents rédigés en arabe. Une fois que nous avons été convaincus de l’importance et du sérieux de ce contenu, nous avons décidé de mener l’enquête. Cela nous a pris une année. » Le livre a été publiéen avril, il est, souligne Christian Chesnot, le troisième volet d’une trilogie après « Qatar, les secrets du coffre-fort » (Michel Laffon 1993) et « Nos très chers émirs : sont-ils vraiment nos amis ? » (Michel Laffon 2016)

L’enquête n’a bien évidemment pas été facile et les interlocuteurs, quand il acceptaient de répondre aux questions des deux journalistes, bottaient en touche, minimisaient, mentaient souvent. Mais en recoupant leurs informations, les auteurs ont pu chiffrer à environ 25 millions d’euros les investissements de Qatar Charity en France. Avec ses ressources gazières, le Qatar croule sous l’argent à ne savoir qu’en faire. Alors, il investit dans le monde, mais pas n’importe où. Le réseau de financement àl’échelle de la France et de toute l’Europe de Qatar Charity recoupe celui des Frères musulmans. Comme si Doha [la capitale du Qatar et siège de l’émirat ndlr], via son bras humanitaire Qatar Charity et son programme Al-Gaith, servait de pompe financière pour irriguer tout l’écosystème d’associations locales musulmanes liées àla galaxie ‘’frériste’’ ou ‘’néo-frériste’’ européenne ».

En France, àl’exception de Nantes et de Poitiers, c’est toute la partie Est qui est couverte, en traçant une diagonale entre Le Havre et Montpellier. Bizarrement, fait remarquer Christian Chesnot, les villes frontalières ou proches de la frontière sont concernées. Lille et Villeneuve d’Ascq, à proximitéde la Belgique, figurent en bonne place. Le Lycée musulman Averroès de Lille Sud a reçu au moins 3 millions d’euros tandis que 1,2 million d’euros ont été versés au Centre islamique de Villeneuved’Ascq. Mais là comme ailleurs (19 villes françaises, la Suisse, la Norvège, la Pologne, l’Allemagne, Jersey...), les bénéficiaires de ces fonds doivent rendre des comptes, contrairement à ce qu’ils affirment.

Car le but de Qatar Charity est « renforcer l’identité islamique et contribuer à répandre l’islam politique dans les communautés musulmanes en Europe », dans l’esprit des Frères musulmans. « Qui finance influence », disent les auteurs. C’est aussi l’esprit de ce « soft power » qatarien.