DOSSIER : Cheminots bashing ça suffit !

Dominique Sens : "Il faudra bien que le gouvernement tienne compte des syndicats"

par Philippe Allienne
Publié le 25 octobre 2019 à 17:32

Pour Dominique Sens, secrétaire général du syndicat CGT des cheminots, la manière dont le gouvernement répond au droit de retrait des cheminots est caractéristique d’une volonté de casser toute action syndicale.

Comment réagissez-vous aux déclarations du Premier ministre et de la ministre du Travail qui dénoncent une « grève illégale et sauvage »  ?

Ils se trompent et ils le font exprès. Muriel Pénicaud évoque l’article L4131.1 du code du Travail qui porte sur le droit de retrait. Elle croit pouvoir dire sur une radio publique, sur cette base, que le droit de retrait est individuel et ne peut être appliqué que si « l’individu concerné est confronté à un danger grave et imminent ». Ce n’est pas ce que dit le texte 1 qui évoque plutôt un « motif raisonnable de penser » et non, en tant que telle, l’existence réelle et concrète d’un danger. Dans le cas qui nous préoccupe, les 17 000 cheminots (sur 23 000) avaient tout à fait le droit et les raisons de penser que la sécurité n’est pas top et qu’il existe des dangers imminents.

À croire que la ministre du Travail ne connaît pas le code du Travail, pas plus que le Premier ministre. Dans quel but  ?

Dans notre région Hauts-de-France, un contrôleur CGT a voulu faire valoir son droit de retrait par solidarité avec ses collègues. Il s’est fait taper sur la tête. Le but est de dénigrer les syndicats et la CGT en particulier que le gouvernement a soupçonné d’appeler à la grève partout. C’est faux. On fait du « cheminots bashing » par le biais d’une politique de pourrissement de la part du gouvernement. Guillaume Pépy emboîte le pas en menaçant les grévistes de sanction.

L’attitude du gouvernement et ce « cheminots bashing » ne sont-ils pas dictés par le mouvement du 5 décembre  ?

C’est bien possible. À la CGT, nous ne sommes pas sur l’idée d’une grève reconductible. Nous préférons négocier pour notre statut, pour la défense de notre régime particulier de retraite et contre la réforme. D’ici le 5 décembre nous allons poser plusieurs préavis de grève avec des rassemblements devant les directions. Le 31 octobre, ce sera le cas pour le fret à Lyon et à Rungis. Le 5 octobre, il y aura un préavis pour les métiers de l’exploitation (les centres d’appel) et le 19 novembre pour les agents de l’équipement (l’infrastructure). N’importe comment, le gouvernement doit s’habituer à devoir tenir compte des syndicats. Cela dit, il y a aussi le droit d’alerte.

Lire aussi Eliane Assassi : " L’entrave au droit de retrait est un délit "

De quoi s’agit-il ?

Il est la suite logique du droit de retrait. Alors que ce dernier est à la disposition des salariés, le droit d’alerte est à la disposition des élus du Comité social et économique (CSE) qui le déposent directement auprès de l’employeur avec des mesures de prévention en rapport avec le danger signalé. Nous avons lancé ce droit vendredi dernier (18 octobre ndlr). Mais cela a fait un flop. Il n’y a pas eu d’accord entre le CSE, TER Hauts-de-France et les agents parce que la direction estime que le risque n’existe pas.

Vous n’avez pas été entendus. Mais vous estimez que le danger pour la sécurité des TER est bien réel ?

La direction ne veut pas le reconnaître. Mais si un train percute un véhicule, comme cela s’est passé dans les Ardennes, le système d’alerte qui se trouve dans le nez de ce train a toutes les chances d’être détruit. Le conducteur ne peut donc pas se servir du téléphone. Il y a alors risque d’un second accident. Cela gêne la direction que les cheminots utilisent ces droits. Je ne serais pas étonné qu’une loi vienne les retirer un jour.

Peut-on parler de déni ?

Déni des risques et du danger de la part de la direction, oui.

Depuis quand en est-on là ?

Je crois que les problèmes ont réellement commencé avec la dernière réforme et la création du Groupe public unifié (GPU) qui va regrouper la SNCF et ses filiales dès 2020. Au plus loin, il faut remonter à celle de Réseau ferré de France (RFF) . Cela ne fera que s’amplifier. La direction considère que les cheminots ne sont pas payés pour faire de la sécurité. C’est vrai avec Epic Réseau et avec Epic Mobilité. On peut aussi laisser sortir des trains avec des pannes parce qu’il n’y a pas d’effectif suffisant en maintenance ou de matériel nécessaire pour réparer. Il faut savoir que dans la maintenance infrastructures et matériel, il y a des droits de retrait toutes les semaines. Mais pour la direction nationale, la sécurité a un coût qu’elle ne veut supporter.