Isabelle Bosseman : « La crise des urgences est devenue chronique »

par Philippe Allienne
Publié le 5 juillet 2019 à 11:37

Les organisations syndicales et le collectif inter-urgences ont décidé un préavis de grève spécifique pour le service ces urgences du CHU de Lille. Quelles revendications portez-vous ?

Aux revendications nationales (300 euros, mise aux normes des effectifs, arrêt des fermetures de lits), les agents ont décliné leurs revendications service par service. Elles portent sur les effectifs médicaux, les aides-soignants, le remplacement du personnel absent, le recrutement de deux agents de sécurité propres au CHU, et non comme jusqu’à présent un médiateur externalisé c’est-à-dire salarié et missionné par une société privée.

Comment en est-on arrivé là ?

La situation de l’hôpital public se détériore depuis trente ans. La démographie médicale diminue depuis trente ans alors qu’il faudrait former davantage de médecins. Tout cela est connu et entretenu par les pouvoirs publics. Aucune solution n’a été recherchée parce qu’il n’y a pas de volonté politique d’en rechercher. L’équation est simple : moins de médecins signifie une diminution de la consommation de soins donc la réalisation d’économies. Ce à quoi s’ajoute une politique d’austérité ? Oui. L’austérité s’applique depuis 2009. Le gel du point d’indice des salaires est effectif depuis 2010. Les salaires sont au ras des pâquerettes, les budgets hospitaliers sont en berne, l’endettement augmente, avec parfois des emprunts toxiques. Résultat : l’investissement est en régression ce qui empêche le développement des activités et conduit à une diminution de la masse salariale. Aujourd’hui, faute d’effectifs, on ferme des lits. L’activité plonge d’autant et les recettes avec. Avec un tel système, on est en train de démolir l’hôpital public.

Pourquoi la crise se cristallise-t-elle sur les urgences ?

Parce que les services d’urgence reflètent l’ensemble du problème hospitalier tant en amont (l’arrivée du patient à l’hôpital) qu’en aval (après sa prise en charge aux urgences). C’est là que se concentre tout ce qui ne va pas : le manque de médecins de ville, la renonciation aux dépenses de soins (aussi bien pour les jeunes qui peinent à payer une mutuelle que pour les personnes âgées). Quand on ne peut se soigner dans des conditions normales, faute de moyens ou de structures, on se rend aux urgences. On sait que là, on ne sera pas jeté dehors. Mais l’accroissement des personnes en situation précaire et le vieillissement de la population aggravent le problème. Ces personnes, une fois prises en charge aux urgences, ne trouvent pas de lit de service, elles restent sur un brancard parfois pendant des jours et les urgences sont bloquées, asphyxiées.

La situation de crise ne se concentre-t-elle pas en période de vacances ?

Les crises sont plus aiguës durant les périodes de Noël et Nouvel An, en février (période de vacances d’hiver pour les médecins) et en été. Mais il faut savoir que ces crises, qui étaient ponctuelles, sont devenues chroniques. Le personnel hospitalier prenait sur lui pour assurer durant les périodes difficiles. Cela durait environ 15 jours. Aujourd’hui, c’est 365 jours et nuits !

Quid du risque de basculement du public vers le privé ?

Mi-juin, la Fédération des cliniques et hôpitaux privés de France (FHP) a déclaré avoir demandé des habilitations pour nous secourir. On ne peut être plus clair ! Il ne leur manque que l’habilitation des ARS (Agences régionales de santé) pour pouvoir se nourrir sur la bête.