© Collection privée Stéphane Sirot
Entretien avec Stéphane Sirot

Les cahiers de doléances : une tradition du 1er mai

par JACQUES KMIECIAK
Publié le 30 avril 2021 à 11:28 Mise à jour le 4 mai 2021

Au même titre que la grève jadis ou les défilés encore aujourd’hui, le dépôt d’un cahier de revendications en mairie est un classique de la Journée internationale des travailleurs célébrée depuis 1890. Cette tradition remonte à la fin du XIXe siècle, selon l’historien Stéphane Sirot, spécialiste du mouvement ouvrier.

  • Depuis quand les syndicats déposent-ils des cahiers de revendications en mairie ? Cette pratique fait écho à la Révolution française et à la rédaction de cahiers de doléances en vue des États généraux du 5 mai 1789. Elle a été très vite adoptée par le mouvement ouvrier dont la principale revendication à la fin du XIXe siècle est la réduction du temps de travail.
  • Pourquoi un dépôt en mairie ? À l’époque, le 1er mai n’est ni chômé, ni férié. Il le deviendra sous la IVe République. Pour participer à cette journée revendicative, les travailleurs sont alors tenus de faire grève. Le temps de travail ne se négocie pas dans les entreprises. L’avancée de la revendication dépend du rapport de force établi avec l’ordre institutionnel, avec le législateur, les élus. Les syndicats s’adressent au maire parce qu’il est considéré comme le représentant de l’État dans la commune, l’institution de proximité par excellence. Le maire est donc censé interpeller les pouvoirs publics compétents.
  • Il joue donc un rôle de relais ? Effectivement. D’autant plus qu’à la fin du XIXe siècle, il y a de plus en plus de municipalités socialistes sensibles aux revendications ouvrières. Du coup, il s’établit une sorte de dialectique entre les champs « syndical » et « politique », même si à cette époque se construit un syndicalisme révolutionnaire qui prône l’indépendance. Des études montrent d’ailleurs que dans les municipalités à dominante syndicaliste révolutionnaire, les responsables des bourses de travail sont aussi souvent des militants socialistes qui ont des contacts avec les élus... socialistes eux aussi. Les syndicalistes n’hésitent pas à faire pression sur les institutions quand c’est nécessaire. Dans les mines du Nord-Pas-de-Calais, des élus comme Émile Basly (1854-1928), le député- maire de Lens, assument plus ouvertement le lien entre la sphère politique et les syndicats. Avant la création de la CGT (1895), les organisations socialistes ont par ailleurs un rôle important à jouer dans le renforcement du mouvement syndical. Et n’oublions pas que c’est la IIe Internationale socialiste qui a, en 1889, fait du 1er mai, une journée de manifestation qui prend d’emblée une dimension internationale.
  • Quid de cette pratique aujourd’hui ? Fait-elle l’objet d’une défiance ? Elle appartient à la tradition. Ce n’est pas elle qui va susciter le plus de clivages. C’est un moment fort de l’action syndicale où l’on cherche à mettre en avant les revendications qui semblent les plus pertinentes. Il n’y a donc pas de raison majeure de la remettre en cause.