Démocratie participative

Convention citoyenne pour le climat : ou comment allier urgence climatique et justice sociale

par Justine Frémy
Publié le 26 juin 2020 à 15:59 Mise à jour le 29 juin 2020

Ils sont 150 Français de tous âges, de tous milieux sociaux et niveaux d’éducation, provenant des quatre coins de la France, y compris d’Outre-mer, à avoir été tirés au sort en octobre dernier pour « définir une série de mesures permettant d’atteindre une baisse d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990) dans un esprit de justice sociale ». Une mission qui leur a été confiée suite au mouvement des Gilets jaunes, provoqué par la hausse de la taxe carbone. Le 21 juin, ils ont adopté 149 mesures, dont certaines pourraient être soumises à référendum. Retour sur cette expérience démocratique unique.

« Quand j’ai reçu le texto m’indiquant que j’étais tiré au sort, j’ai d’abord cru que c’était une blague ! » plaisante Lambert Allaerd, un Lillois de 29 ans qui fait partie des citoyens sélectionnés pour siéger à la Convention citoyenne pour le climat. Une fois assuré du sérieux de la démarche, il a bien sûr « accepté tout de suite, parce que la situation climatique me préoccupait déjà » précise-t-il. Ce qui ne l’a pas empêché de se prendre une « claque » lors de la première session de présentation des enjeux du dérèglement climatique par les experts. Une véritable prise de conscience pour l’ensemble des participants « car on était loin de s’imaginer l’ampleur ». Ce jour-là, Anne Bringault, responsable transition énergétique au Réseau action climat, se trouvait, elle, de l’autre côté, parmi les experts. « Je leur ai présenté un message général sur le climat, mais je leur ai surtout dit de ne pas avoir peur des réactions du type “ce n’est pas possible, on ne peut pas le faire” et d’aller jusqu’au bout de ce qu’ils voulaient. »

Réconcilier « fin du monde » et « fin du mois »

Un travail que les 150 citoyens ont mené pendant sept week-ends répartis sur neuf mois qui leur ont permis d’établir progressivement 150 mesures concrètes alliant réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) et justice sociale. Organisé par le CESE (Conseil économique, social et environnemental), cet exercice démocratique d’une ampleur inédite a cependant soulevé des doutes quant à l’impartialité de la démarche, notamment vis-à-vis du rôle des experts qui sont intervenus tout au long des sessions de travail. « Bien sûr, les experts ont forcément une influence, mais nous n’aurions pas pu proposer des mesures sans écouter d’abord les experts qui travaillaient depuis des années sur ces questions. Notre rôle était surtout d’estimer si ces mesures étaient justes socialement » explique Lambert face à ces critiques. Un point de vue partagé par Anne Bringault : « Finalement, quand on réfléchit à des solutions pour le climat, il n’y en a pas 500, on arrive toujours sur les mêmes. Mais eux ont mis leur patte en ajoutant la justice sociale. » Par exemple, si la Convention propose d’augmenter le malus pour l’achat de voitures polluantes, elle propose aussi d’en exclure les familles nombreuses qui ont besoin d’un véhicule plus grand. Et quand elle suggère l’obligation de la rénovation énergétique de l’ensemble des logements, elle réclame par ailleurs que son financement soit pris en charge à 100 % pour les familles modestes. Une approche qui permet de prendre en compte à la fois les enjeux environnementaux et les enjeux sociaux, pour en finir avec l’opposition délétère entre fin du monde et fin du mois. « C’est l’avantage de cet exercice, on s’est rendu compte que les débats à l’extérieur reflétaient exactement ceux qu’on avait eus à l’intérieur » remarque Lambert.

Des mesures pour la relance économique

Si presque toutes les mesures ont été adoptées par la Convention, une seule a été rejetée à 65 % : celle de la semaine de 28 heures de travail. « C’est la seule mesure impactante pour tout le monde et qui prônait un arrêt de la croissance, analyse Lambert. À titre personnel j’y étais plutôt favorable, mais j’ai préféré voter contre car je pense que c’est encore trop tôt, la société n’est pas prête. On avait déjà 149 autres mesures et c’était dommage de cristalliser les débats sur une seule d’entre elle qui ne serait pas forcément applicable tout de suite. »

150 citoyens tirés au sort, représentatifs de la société française en termes d’âge, de niveau d’étude, de répartition géographique, d’emploi, ont travaillé pendant neuf mois sur 150 mesures permettant de réduire les émissions de CO2 dans un esprit de justice sociale.
© Katrin Baumann / Convention citoyenne pour le climat

Un choix stratégique donc, avec l’idée de commencer d’abord par appliquer rapidement des mesures plus consensuelles et tout aussi efficaces pour réduire l’empreinte carbone de la France. Parmi les plus significatives, Anne Bringault en retient quatre en particulier : la réduction des émissions dans le secteur des transports (l’application de bonus/malus sur les véhicules polluants et le développement du transport ferroviaire notamment), la réduction de l’utilisation des engrais azotés en agriculture (une forte source d’émissions de GES souvent méconnue), l’équivalent d’une loi Évin sur la publicité pour limiter les incitations à la consommation des produits les plus polluants et la rénovation globale des bâtiments, car elle est à la fois extrêmement efficace et juste socialement, puisqu’elle s’attaque aussi à la question de la précarité énergétique. Une vision que partage Lambert, d’autant plus que cette mesure permet aussi de relancer l’économie, en dynamisant le secteur du BTP. L’aspect économique a donc aussi été pris en considération par le collège de citoyens, qui a notamment souhaité se réunir par vidéoconférence pendant le confinement pour réfléchir aux mesures les plus susceptibles de favoriser la reprise de l’économie, plombée par la crise du coronavirus. Après avoir consulté l’avis de différents économistes, ils ont d’ailleurs soumis, dès le mois d’avril, une série de mesures au président de la République afin de l’aider à établir son plan de relance. Reste à savoir si Emmanuel Macron va les reprendre. Il s’était engagé à le faire « sans filtre ». Parmi les mesures à fort impact, Lambert relève également la modification de la Constitution, qui « est symbolique mais qui je l’espère aura aussi un impact sur la loi ». Selon lui, « il est important maintenant que l’ensemble des citoyens puisse s’exprimer », ce que devrait permettre un tel référendum s’il est effectivement repris par le gouvernement. Lambert tient aussi à la mise en place d’un « éco-score » (ou « CO2-score ») qui renseigne sur la quantité de GES émise pour la fabrication d’un produit, « car cette expérience nous a montré que le citoyen peut être la clé du changement, même si les gestes individuels ne sont pas suffisants, c’est important qu’il soit bien informé pour pouvoir faire des choix écologiques ». En effet, depuis qu’il participe à la Convention, Lambert a radicalement changé sa façon de vivre. Il ne mange plus de viande, ne prend plus l’avion et a même changé de travail, justement pour se consacrer au développement d’une application chargée d’attribuer un éco-score aux produits alimentaires. « La preuve que quand les citoyens sont informés, ils arrivent aux mêmes conclusions que nous », comme le résume Anne Bringault.

Une expérience démocratique à reproduire à tous les niveaux

C’est peut-être l’un des reproches que l’on peut faire à la Convention : si les premiers échanges étaient publics, la plupart des sessions se sont déroulées à huis clos. Or, d’après Anne Bringault, le fait de médiatiser les débats pendant le processus de réflexion « aurait permis à la population générale de s’approprier les sujets, de faire progresser tout le monde en même temps et au final de mieux accepter ces mesures qui arrivent toutes en bloc à la fin ». Ce qui ne l’empêche pas de penser qu’il faudrait « reproduire cette expérience à tous les niveaux, dans tous les villages et tous les quartiers ». Un avis partagé par Lambert, enthousiasmé par cette démarche qui lui a « redonné espoir ». « C’est dommage que ça n’existait pas avant en fait. » Il pense même qu’il faudrait maintenant créer une convention spécifique pour réfléchir à la participation des citoyens dans la démocratie justement, mais aussi une «  Convention citoyenne sur le travail » car le débat sur la semaine des 28 heures a montré qu’il y avait un besoin de réflexion plus poussée dans ce domaine. Mais peut-être sur un format un peu plus concentré dans le temps cette fois : « Je suis soulagé que ça s’arrête, même si c’était une expérience incroyable ! Car pendant neuf mois, on l’avait quand même toujours dans un coin de la tête. » En attendant, Anne Bringault travaille déjà à ce que certaines de ces mesures, dont le coût global est estimé à 6 milliards d’euros par an par l’Institute for climate economics, soient intégrées dans le projet de Loi de finances rectificative 2020 et Lambert se prépare à rencontrer Emmanuel Macron lundi 29 juin. Il fait en effet partie des six citoyens, trois hommes et trois femmes, tirés au sort parmi le collège des 150 pour rencontrer le président. « C’est eux qui ont la main maintenant ! » conclut-il. Mais les 150 ne sont pas près de laisser le gouvernement ni les parlementaires mettre leurs mesures de côté, ils se sont déjà constitué en association pour « garder le lien et s’assurer que leurs mesures ne seront pas oubliées… »

Plus d’infos sur sur le site de la Convention citoyenne pour le climat.

(Photo : © Katrin Baumann / Convention citoyenne pour le climat)