Retraites par points : des pensions en chute libre

par JEAN-LOUIS BOUZIN
Publié le 10 mai 2019 à 17:21

Avec la retraite par points que le gouvernement rêve de faire passer en douce au creux de l’été, un bouleversement s’annonce, dont beaucoup n’imaginent pas la gravité.

Le nouveau système de retraite annoncéne vise pas simplement à remplacer des trimestres par des points, comme on pourrait naïvement le penser. Il vise àfaire chuter les pensions dont les futurs bénéficiaires ne connaitraient d’ailleurs le montant... qu’au moment de partir en retraite ! Fini ce que l’on appelle le régime actuel « à prestations définies » qui permet de savoir àl’avance oùl’on va. Désormais, chacun serait informéde son nombre de points, mais pas de ce qu’ils rapporteraient.

Le Conseil d’orientation des retraites (COR) l’énonce clairement : « La contrepartie monétaire des points n’est connue qu’àla date de la liquidation, en fonction de la valeur de service du point àcette date ». Notons bien « àcette date » : cela signifie que la valeur du point (et le montant des retraites y compris celles des retraités actuels), serait régulièrement recalculépour être « adapté » aux ressources disponibles. Pour cela, plus besoin de négociations. Un ordinateur suffirait !

Làencore, le COR est clair : « Comme la masse des pensions est égale au produit du nombre de points de tous les retraités par la valeur de service du point, cette dernière peut être ajustée année après année de façon à respecter l’équilibre du régime ». Ceux qui plaideraient en faveur d’un niveau de vie décent pour les retraités et donc d’une plus juste répartition des richesses seraient hors-sujet. Seul compterait « l’équilibre financier ».

La valeur du point (et donc le montant des pensions) dépendrait exclusivement de l’argent qui rentre dans les caisses de retraite, ou plutôt qui n’y rentre pas ou insuffisamment en raison des exonérations de « charges patronales », des salaires trop bas, des emplois supprimés et donc des cotisations en moins. Et comme le nombre des retraités devrait croître et les cotisations décroître (le gouvernement voudrait bien d’ailleurs les remplacer progressivement par la CSG, c’est àdire l’impôt), autrement dit comme les convives seraient plus nombreux àse partager un gâteau plus petit, les pensions, dont le pouvoir d’achat baisse d’année en année, décrocheraient littéralement.

Plus besoin de négociations, un ordinateur suffirait

D’autant que d’autres critères interviendraient pour fixer la valeur du point, comme l’espérance de vie (plus elle augmenterait, plus celui qui oserait partir en retraite serait financièrement pénalisé…) ou encore la santééconomique du pays. En 2008, les pensions par points des retraités suédois ont été amputées de 3,8 % au prétexte que leur pays n’était pas en grande forme économique !

François Fillon n’avait pas tort...

Ce n’est pas tout. Le camp Macron veut terminer l’oeuvre d’Edouard Balladur lancée en 1993 : calculer les pensions sur un plus grande nombre d’années travaillées afin d’inclure celles moins bien payées et tirer àla baisse les dites pensions. On est ainsi passéde 10 à 25 années. Désormais, toutes les années compteraient y compris les très mal payées. Les salariés de la fonction publique, dont les retraites se basent sur les six derniers mois de carrière, percevraient 10 à 20 % de moins ! La mission du haut commissaire àla réforme des retraites, ex-ministre de Jean-Pierre Raffarin, Jean-Paul Delevoye, chacun l’a compris, est avant tout d’endormir l’opinion publique en faisant croire à « l’équité » du nouveau système.

1 euro cotiséouvrirait les mêmes droits pour tous... Faux ! La valeur du point variant constamment, deux salariés ayant travailléle même nombre d’années, perçu les mêmes salaires mais partant àdeux ou trois ans d’intervalle, ne toucheraient pas la même pension. « Le système par points met àbas tout esprit de solidarité », ont insistéles syndicats de retraités réunis àLille le 2 mai. Jean-Paul Delevoye lui-même, n’a pas cachéque « pour avoir une belle retraite, encore faudra-t-il avoir eu une belle carrière ».

De quoi laisser rêveur le nombre grandissant de personnes en butte au chômage, àla maladie, aux bas salaires, en particulier les femmes contraintes, par dessus le marché, à cesser le travail pour élever leurs enfants. A contrario du discours officiel, le système par points s’annonce fortement inégalitaire en ne compensant plus vraiment les périodes non-travaillées. A quoi s’ajoute ce qui se trame en matière de pensions de reversion. Au lieu de toucher la moitiéde la pension du défunt, le conjoint survivant devrait se contenter du quart des deux pensions...

Il nous l’avait bien dit en 2017, avant que la tempête ne l’emporte : « Le système par points, ça permet une chose, ça permet de (...) diminuer chaque année le montant des pensions ». François Fillon n’avait pas tort. Il aurait pu ajouter que ça permet, du coup, de contraindre les salariés àpartir en retraite le plus tard possible, voire pas du tout...