Gisèle Halimi

Un combat digne qui doit se poursuivre

Publié le 31 juillet 2020 à 11:19

Combattante de la liberté, combattante pour les libertés. Il est toujours facile - mais périlleux - de transformer en icône une personne qui meurt. Nul doute que Gisèle Halimi, que l’on présentait déjà comme un symbole des combats féministes et anticoloniaux avant sa mort, aurait sinon rejeté l’idée, au moins souri. Ses luttes étaient sur le terrain, bien ancrées dans la réalité. L’injustice et l’inégalité lui font horreur dès l’enfance. Alors elle les combat, avec son caractère et sa détermination. Elle a douze ans à peine quand elle refuse de servir ses frères. C’était ainsi dans sa famille, juive, pauvre, patriarcale. C’était la coutume de servir les personnes de sexe masculin. C’était la tradition que l’on voulait imposer à la petite Zeiza Gisèle Élise Taïeb, née le 27 juillet 1927 à La Goulette, en Tunisie. Mais pour elle, c’était non. Pour montrer son refus de servir ses frères, elle a observé une grève de la faim pendant une semaine.

Sa grand-mère, qu’elle voyait comme une icône, n’a rien pu - ni voulu - faire contre sa décision. Elle a obtenu gain de cause et l’a écrit dans son cahier : « J’ai gagné mon premier morceau de liberté. » Quand elle dit « non », cela veut dire « non ». Et elle va jusqu’au bout. Elle découvre aussi très vite que les études, le savoir, la culture, sont les armes indispensables et infaillibles qui lui permettront de gagner sa liberté et, plus tard, de se battre pour celle des autres. Elle étudie. Elle devient avocate. Une « avocate irrespectueuse », comme l’on dira de celle qui ne respecte aucun diktat. Elle sera aussi députée. C’est comme cela qu’elle devient une ardente et efficace féministe.

Elle a beaucoup pesé dans la loi sur le droit à l’avortement, sur l’interruption volontaire de grossesse, etc. Son histoire est une histoire d’engagement pour la justice. Dans les années 60, elle défend des combattantes algériennes du FLN. Plus tard, elle sera l’avocate du palestinien Marwan Barghouti. Tous ses combats étaient éclairés et ont été menés dans la dignité. Les sept femmes progressistes à qui nous avons demandé de témoigner, ci-dessous, l’expriment chacune à leur manière. Nul besoin, si ce n’était déjà fait, de réduire Gisèle Halimi à une icône. Sa lutte vaut pour elle-même. Elle doit se poursuivre.

Karine Trottein, secrétaire de la fédération Nord du PCF « Il ne faut pas se résigner »

« Le 23 juillet, une tribune rédigée à l’initiative de l’association Élu·es contre les violences faites aux femmes (ECVF) présidée par Hélène Bidard (adjointe PCF à la Mairie de Paris) répondait, d’un point de vue féministe, d’un point de vue de l’éthique politique et de l’efficacité des politiques publiques de lutte contre les violences faites aux femmes, aux deux tribunes soutenant la nomination de Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur. L’objectif alors était d’atteindre les 343 signatures, en référence au manifeste des 343 sur l’IVG rédigé par Simone de Beauvoir le 5 avril 1971 et où l’on retrouve parmi les signataires Gisèle Halimi. La même année, ces deux femmes exceptionnelles fondaient le mouvement « Choisir la Cause des Femmes », qui prendra part à toutes les luttes féministes et organisera la défense de nombreuses femmes maltraitées.Ce 28 juillet, Gisèle Halimi nous a quittés, avocate tenace, écrivaine admirable, militante déterminée, pour la cause des femmes, elle écrivait « Ne vous résignez jamais » dans son livre autobiographique. C’est le sens de mon engagement aujourd’hui, ne pas se résigner. Par ces quelques lignes, je souhaitais lui rendre hommage. »

Michelle Demessine, ex- sénatrice PCF du Nord

« Son engagement a été déterminant »

« Gisèle Halimi nous a quittés. Son énergie féministe a vibré jusqu’à la fin de sa vie. Elle été comme cela toujours la première à s’indigner. Pour beaucoup de militantes féministes de ma génération, elle incarne mieux que quiconque cette longue marche des femmes pour leur émancipation des années 70 à aujourd’hui. Des droits fondamentaux pour les femmes ont été conquis grâce à leurs mobilisations et à celles des associations féministes et permet aujourd’hui ce nouvel élan du féminisme avec de nouvelles générations déterminées à aller plus loin pour conquérir l’égalité entière et absolue. C’est pourquoi il faut rendre hommage au combat de Gisèle Halimi et de son Mouvement Choisir pour le droit à l’avortement, pour la reconnaissance du viol comme un crime.À la tête du Manifeste des 343 femmes qui ont révélé avoir pratiqué l’avortement alors que celui-ci était interdit et passible de lourdes condamnations pénales, son engagement a été déterminant pour parvenir à la légalisation de l’avortement et son accès à toutes pour enfin pouvoir choisir sa vie. Son rôle et son nom resteront gravés dans l’avancée historique des droits des femmes de notre dernier demi-siècle. »

Isabelle Choain, maire de Prouvy et vice-présidente de Valenciennes Métropole à l’égalité entre les femmes et les hommes « Soyons plus audacieuses ! »

« Gisèle Halimi était une grande dame. Elle a fortement compté dans le combat des femmes, pour l’émancipation, l’égalité, le droit à l’avortement à une époque où ce n’était pas facile du tout. D’ailleurs, elle s’est aussi battue pour l’indépendance de l’Algérie, et là non plus ce n’était pas facile, pour la Palestine, etc. Aujourd’hui, les jeunes femmes qui, au Maghreb par exemple, se battent pour leur indépendance, pourraient se reconnaître en elle. Mais cette vie de combats m’inspire cette réflexion : l’époque que nous vivons est toujours aussi difficile pour la reconnaissance de la place des femmes. Regardez dans la vie politique locale, observez les délégations proposées aux élues dans les exécutifs des intercommunalités : la politique sociale, la réussite éducative, l’égalité femmes-hommes, etc. Et comme nous sommes minoritaires (la parité n’étant pas au rendez-vous), nous n’avons pas trop le choix. Personnellement j’apprécie ma délégation à la communauté d’agglomération Valenciennes Métropole. Mais pourquoi ne pas nous confier des responsabilités économiques par exemple ? En plus, il subsiste toujours cette tendance à ne pas prendre les femmes au sérieux, à les charrier, même gentiment... En tant qu’élue, je le vis au quotidien. Pour se faire entendre, il faut toujours élever la voix, il faut taper du poing sur la table. Le combat des femmes est loin d’être terminé. Il y a du travail. Les femmes doivent être plus audacieuses encore. »

Elsa, Nathalie, Enide, Lydie, militantes et/ou élues PCF d’Haubourdin « Nous sommes là. Et radicales »

Gisèle Halimi est décédée mardi dernier à 93 ans. Cette avocate a démontré que l’intime et le politique sont étroitement liés. À tout juste 12 ans elle entame une grève de la faim car elle refuse de servir ses frères... Première victoire. L’émancipation devient son combat : celle des peuples colonisés - elle sera « l’avocate du FLN » lorsqu’elle défend des nombreux·ses militant·es algérien·nes torturé·es par l’armée française. Et surtout, celle des femmes. En défendant en 1960 Djamila Boupacha - jeune militante du FLN torturée et violée par les militaires français - elle met un visage sur les victimes des crimes de l’armée française en Algérie. En défendant en 1972 Marie-Claire - jeune femme de 16 ans violée et ayant avorté -, elle gagne un procès qui contribuera à la légalisation de l’avortement. En défendant deux femmes victimes de viol collectif en 1978, elle parvient à criminaliser le viol qui n’est alors plus considéré comme un « simple délit ». Elle était de tous les combats féministes. « Regardez-vous et regardez- nous. Quatre femmes comparaissent devant quatre hommes... Et pour parler de quoi ? De sondes, d’utérus, de ventres, de grossesses, et d’avortements !... Croyez-vous que l’injustice fondamentale et intolérable n’est pas déjà là ? (...) » Gisèle Halimi l’a prouvé : il n’y a pas de distinction possible entre l’œuvre et la femme. « Une bonne féministe est une féministe morte. » Que ceux qui la pleurent mais ne voient pas le problème de la nomination de Darmanin et Dupond-Moretti s’interrogent. Que ceux qui la pleurent mais critiquent Alice Coffin se posent les bonnes questions. Gisèle Halimi est décédée ce 28 juillet 2020. Ses combats sont toujours là. « Ne baissez pas la garde. Jamais. Et soyez radicales. » Merci Gisèle. Nous sommes là. Et radicales.