Faire revenir la nature en ville, un vœu pieux en Europe depuis la fin du XXe siècle. Sauf qu’avant d’être entourés d’arbres suffisamment grands pour nous apporter ombre, fraîcheur et calme, il faut du temps. Et ce temps on ne l’a plus. Aussi, ces trois dernières années, de très nombreuses communes françaises ont adopté la méthode Miyawaki pour faire pousser des forêts urbaines ou micro-forêts, comprenez des « ensembles forestiers » plus ou moins grands (les projets vont en général de quelques centaines de mètres carrés à 5 000 m2) en cœur ou en périphérie de la ville.
Cette nouvelle méthode produirait 30 fois plus d’oxygène
Dans les années 70, Akira Miyawaki, un botaniste japonais a travaillé à un plan de restauration des forêts indigènes au Japon, à travers une banque de graines de plus de 10 millions de variétés différentes ! Sa méthode a tellement séduit qu’elle s’est propagée en Thaïlande, Indonésie, Malaisie... pour ensuite arriver jusqu’à nous. Son système de plantations d’essences d’arbres très resserrées permettrait de les faire pousser dix fois plus vite. Cette nouvelle forêt absorberait même 30 fois plus de dioxyde de carbone, tout en produisant 30 fois plus d’oxygène. Elle offrirait en prime une barrière sonore 30 fois plus efficace (très utile en bordure des rocades urbaines) et accueillerait 100 fois plus de biodiversité. Le tout en n’utilisant que des essences locales. Ainsi, dans les Hauts-de-France, on utilise de l’aubépine, du merisier, du chêne sessile (ou rouvre), du sureau... et on évite le chêne pédoncule et le hêtre qui sont bien moins résilients au changement climatique. Selon les défenseurs de la méthode, le résultat en 30 ans au Japon est équivalent à une pousse naturelle de 200 ans. Avec des arguments pareils, les « forêts Miyawaki » émergent partout. Dans les Hauts-de-France, la société Beeforest fondée à Merlimont, sur la Côte d’Opale en 2020, a déjà fait pousser 75 000 arbres avec cette méthode, à Abbeville, Lille, Wattrelos, Wambrechies, Marcq-en-Baroeul, Violaines, Templemars pour ne citer qu’elles. Pourtant, malgré la très longue liste d’exemples, la méthode ne rencontre pas l’unanimité. Les chercheurs sont nombreux à contester des résultats qui manqueraient d’expertise scientifique. Alors unique solution au reboisement de la ville ou solution parmi tant d’autres ? Liberté Hebdo vous propose un tour d’horizon de ce qui se fait dans la région pour tenter de répondre à cette question.
Un îlot (presque) sauvage perché à 7 mètres de haut en pleine zone urbaine
À Lille, le parc de la Citadelle Vauban est la parfaite illustration de la place faite au végétal au cœur de la ville. Il y a un autre exemple bien moins connu qui mérite aussi toute notre attention : c’est l’île Derborence, une mini-forêt créée par le paysagiste Gilles Clément dans les années 90.
Un bloc de béton de 2 000 m 2 , haut de 7 mètres et sur lequel poussent des arbres, cette description digne d’un film de science-fiction, c’est celle de l’île Derborence. Elle doit son nom à son créateur Gilles Clément, un paysagiste avant-gardiste qui a souhaité créer une forêt primaire, un espace protégé en plein cœur de la ville, juste à côté de la gare Lille-Europe. Le tout à une époque où les termes d’écosystème, biodiversité, forêt urbaine ne faisaient pas partie de notre vocabulaire courant. Pour y parvenir, Gilles Clément et son équipe ont planté quelques essences : du frêne indigène, un érable champêtre, une grosse aubépine, un saule marceau, des lianes chèvrefeuilles, une glycine, un orme de Chine... et c’est à peu près tout. Le concept de Gilles Clément n’a rien à voir avec celui du botaniste Akira Miyawaki. « On a planté quelques arbres et on s’est très vite arrêté parce qu’il n’y avait plus de sous. Mais moi, ça m’allait, qu’on plante peu. Je voulais voir ce que la nature allait faire toute seule », indique le fondateur du lieu.
Sur cette implantation, la nature a totalement repris ses droits
Depuis la naissance de Derborence en 1995, rares sont ceux qui y ont mis les pieds, le lieu est jalousement gardé secret. L’écologue de la ville de Lille, Yohan Tison n’est venu que quatre fois sur site, Gilles Clément lui même ne s’y est pas rendu à plus de cinq reprises. La dernière fois, c’était en novembre 2022, à la demande de notre confrère de Mediacités. L’occasion de découvrir, après une petite dizaine d’années sans que personne n’ait pénétré cette forêt, à quoi elle ressemblait aujourd’hui. Ils ont remarqué un petit hêtre, une essence qu’on ne plante plus dans les forêts types Miyawaki parce qu’elle n’est pas assez robuste, celui-là est venu seul. Il côtoie des ifs jadis en grande forme mais qui à présent font grise mine. À l’inverse, le prunus cerasus, un arbre fruitier, y est en pleine expansion. Les oiseaux sont particulièrement nombreux, des espèces introuvables à Lille, comme le pouillot fitis ou la fauvette des jardins. L’écrin de biodiversité souhaité par Gilles Clément a fonctionné. Les forêts plantées ses dernières années avec une toute autre méthode auront-elles autant de succès ? L’avenir nous le dira.
La nécessité de la végétalisation est partagée, mais les avis sur les méthodes diffèrent
Depuis l’annonce du projet “1 Million d’arbres” porté par Xavier Bertrand, les micro-forêts poussent comme des champignons. On plante dans les cours d’école, dans les friches et sur les places des villes et des villages... Pourtant, certains chercheurs se montrent particulièrement circonspects, dénonçant un effet de mode.
A voir un coin d’ombre, jouer sur des aires sans se brûler les cuisses sur les toboggans bouillants, ne plus avoir l’impression d’être écrasé par la chaleur ambiante... Des écrins de verdure en ville, on en rêve tous. En particulier, depuis les températures caniculaires des derniers étés. Face à ce besoin urgent de rafraichir la ville, la méthode du botaniste Akira Miyawaki a tout pour nous séduire.
Ne pas croire que les micro-forêts vont tout changer pour rapporter fraîcheur et nature en ville
Mathieu Verspieren, fondateur de la société Beeforest en est convaincu : « Nous avons réalisé notre première micro-forêt à Wasquehal, c’était 100 m2 dans une école. On n’a pas seulement emmené les enfants planter, on a aussi réalisé des ateliers pédagogiques autour de la forêt, du cycle de l’eau, de la taille des arbres. » Que du positif, donc ? La chercheuse en écologie forestière Annabel Porté émet des réserves sur la pertinence de ses forêts. « Pour faire baisser la température, il me semble plus judicieux de répartir 400 arbres dans toute la ville, plutôt que de les concentrer à un même endroit, d’autant plus si les arbres y sont en rude compétition, au moins la moitié risque de mourir », indiquait-elle en mars dernier au magazine toulousain Boudu. Elle n’est pas la seule chercheuse à se montrer sceptique. Stanislas Dendeviel, adjoint à l’urbanisme et à la nature de la ville de Lille défend une position intermédiaire. Il souhaite accroitre la présence de la nature en ville, en s’appuyant sur les micro-forêts qu’il préfère appeler « ensembles forestiers » mais aussi sur les plantations d’arbres en cœur de ville, comme c’est le cas, rue Pierre-Mauroy ou boulevard Carnot. Quand il n’est pas possible de planter, il met en avant la désimperméabilisation, c’est le cas pour les cours d’écoles ou avec la mise en place d’arbres en pots, pour apporter de l’ombre sur les grandes places bitumées, comme en ce moment sur la Grand’Place. L’ensemble des réalisations permet de gagner en biodiversité, nature et fraîcheur en ville, les maîtres mots des projets des forêts de Miyawaki.Alors, pari réussi ? Stanislas Dendeviel se garde bien de le dire et rappelle qu’« il s’agit d’epérimentations. » L’adjoint au maire, conclut : « On ne peut donc pas dire si cela fonctionnera ou non et aura l’effet escompté, mais on sait déjà que toutes les villes qui se lancent dans les plantations d’arbres contribuent à rafraîchir leur espace. » Les forêts urbaines jouent bien donc un rôle dans la lutte contre le réchauffement climatique mais ne sont clairement pas le seul atout sur lequel s’appuyer.
Pourquoi vouloir planter un million d’arbres ? Jean-Michel Taccoen, président de la commission Environnement de la région revient sur le projet Un million d’arbres en Hauts-de-France lancé par Xavier Bertrand en avril 2020 : “Replanter est indispensable. Nous en avons notamment besoin pour recréer des îlots de fraicheur, les températures qu’on a connu l’été dernier vont se reproduire. Il nous faut des arbres pour lutter contre le réchauffement climatique.” Or, certains de nos départements en manquent énormément. Le Pas-de-Calais est le département le moins boisé de France par exemple. Le Nord à l’urbanisme très dense est également largement concerné. Aussi, pour Jean-Michel Taccoen, il y a urgence à inverser la cadence, pour offrir un autre monde à nos enfants. Et même s’il reconnaît que les projets ont été moins nombreux ces derniers temps, il l’assure, le projet 1 million d’arbres est “tout sauf un effet de mode”.
Jean-Michel Taccoen, président de la commission Environnement de la région revient sur le projet Un million d’arbres en Hauts-de-France lancé par Xavier Bertrand en avril 2020 : “Replanter est indispensable. Nous en avons notamment besoin pour recréer des îlots de fraicheur, les températures qu’on a connu l’été dernier vont se reproduire. Il nous faut des arbres pour lutter contre le réchauffement climatique.” Or, certains de nos départements en manquent énormément. Le Pas-de-Calais est le département le moins boisé de France par exemple. Le Nord à l’urbanisme très dense est également largement concerné. Aussi, pour Jean-Michel Taccoen, il y a urgence à inverser la cadence, pour offrir un autre monde à nos enfants. Et même s’il reconnaît que les projets ont été moins nombreux ces derniers temps, il l’assure, le projet 1 million d’arbres est “tout sauf un effet de mode”.