Il y a un mois, aucun département des Hauts-de-France n’était en état de sécheresse. Il pleuvait et les températures restaient fraîches. Cependant, l’absence de pluies significatives entre le 20 janvier et le 20 février n’a pas permis aux nappes phréatiques de se recharger. Résultat, l’Avesnois (sud-est du département du Nord) mais aussi la Thiérache (entre Nord, Aisne et Ardennes) sont dans l’« orange » selon les données analysées par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM, voir carte ci-dessous). L’état des nappes d’eau souterraine dans le département de l’Aisne au 15 avril était particulièrement alarmant. Malgré une pluviométrie favorable en mars et début avril, « les cumuls de précipitations pour la période de recharge 2022-2023 sont en déficit de 8 % par rapport à la normale sur le département de l’Aisne », indique la Préfecture. Ce territoire, tout comme l’Avesnois, étaient dans le rouge, le seuil critique, il y a encore un mois.
Première restrictions
Aujourd’hui, grâce aux pluies d’avril et début mai, la situation des nappes est un peu moins alarmante, mais les risques de sécheresse demeurent. Tout le département de l’Aisne est dans le rouge. Le préfet, Thomas Campeaux a mis en place un arrêté le 8 juin restreignant les usages d’eau sur une partie du territoire. Une décision prise en conséquence du « débit particulièrement faible de la rivière l’Escaut et [du] niveau très bas des nappes phréatiques lors d’une période de rechargement des nappes », précise la préfecture ; 26 communes sont concernées. Des restrictions ont été mises en place sur l’ensemble de ces zones. Dans les deux secteurs en alerte, il est désormais interdit d’arroser les pelouses, les massifs fleuris, les jardins potagers et les terrains de foot entre 10 heures et 18 heures. Quant aux terrains de golf, il est interdit de les arroser entre 8 heures et 20 heures. Il est aussi prohibé de remplir les plans d’eau et les piscines privées. Il n’est plus possible de laver les véhicules particuliers, (sauf avec du matériel haute pression recyclant l’eau), tout comme les façades, toitures et trottoirs. Du côté agricole, l’irrigation est restreinte. Elle est interdite entre 10 et 18 heures si elle a lieu par forage ou par prélèvements dans les eaux superficielles. Dans l’industrie, la consommation d’eau est réduite. Enfin, l’alimentation des fontaines publiques d’ornement est proscrite. Il faut également réduire l’alimentation des canaux et prévenir avant toute manœuvre sur les barrages. Dans le Nord, aucune mesure équivalente n’a encore été prise. Mais les risques de sécheresse y demeurent inquiétants. La préfecture du Nord a donc décidé de placer l’ensemble du département en vigilance sécheresse. Par conséquent, le préfet, Georges-François Leclerc demande à « tous les usagers (particuliers, agriculteurs, industriels et collectivités) de diminuer leurs consommations d’eau potable ainsi que leurs prélèvements dans le milieu naturel pour ne pas porter atteinte à la ressource. »
Péril en la demeure pour 30 communes Au fil des mois, l’assèchement prolongé des sols entraîne des mouvements souterrains qui fragilisent durablement les constructions et creusent de profondes fissures dans le bâti. C’est pourquoi plusieurs communes ont été déclarées en état de catastrophe naturelle (consécutive à la période de sécheresse entre le 1er avril et 30 septembre 2022) pour acéclérer l’intervention des assureurs. C’est le cas de Merville, dans le Nord, qui vient de se voir décerner ce « label », tout comme 29 communes de l’Aisne auparavant : Bernoy-le-Château, Bichancourt, Bohain-en-Vermandois, Château-Thierry, Chauny, Corcy, Courboin, Epaux-Bezu, Favy-le-Martel, Folembray, Gandelu, Goussancourt, Guny, Leuilly-sous-Coucy, Longpont, Luzoir, Maizy, Malzy, Montdrepuis, Montaigu, Noyales, Pontavert, Saint-Gobain, Sinceny, Tergnier, Vendeuil, Viels-Maisons, Villequier-Aumont et Villers-Saint-Christophe.
Un village sans eau potable depuis sept mois
Au fil des mois, l’assèchement prolongé des sols entraîne des mouvements souterrains qui fragilisent durablement les constructions et creusent de profondes fissures dans le bâti. C’est pourquoi plusieurs communes ont été déclarées en état de catastrophe naturelle (consécutive à la période de sécheresse entre le 1er avril et 30 septembre 2022) pour acéclérer l’intervention des assureurs. C’est le cas de Merville, dans le Nord, qui vient de se voir décerner ce « label », tout comme 29 communes de l’Aisne auparavant : Bernoy-le-Château, Bichancourt, Bohain-en-Vermandois, Château-Thierry, Chauny, Corcy, Courboin, Epaux-Bezu, Favy-le-Martel, Folembray, Gandelu, Goussancourt, Guny, Leuilly-sous-Coucy, Longpont, Luzoir, Maizy, Malzy, Montdrepuis, Montaigu, Noyales, Pontavert, Saint-Gobain, Sinceny, Tergnier, Vendeuil, Viels-Maisons, Villequier-Aumont et Villers-Saint-Christophe.
Décembre 2022 : les habitants de Merlieux-et-Fouquerolles dans l’Aisne n’ont plus d’eau potable. En cause, la présence de résidus du fongicide chlorothalonil, le pesticide plus connu sous le nom de chloridazone. Depuis cette date, les 250 habitants ne peuvent plus boire l’eau du robinet, ni même l’utiliser pour se laver les dents ou cuisiner. Pour y remédier, la mairie a mis en place une distribution de bouteilles d’eau, puis une fontaine publique à 4 kilomètres du village. Très insuffisant pour Nicolas Richard, directeur du Centre permanent d’initiatives pour l’environnement (CPIE) et conseiller régional écologiste : « Pour le CPIE qui compte une centaine de personnes, avec l’accueil des scolaires etc, ce n’était pas une solution. Nous avons donc mis en place des bidons de 4 litres pour alimenter huit fontaines à eau. » Cette solution intermédiaire dure depuis sept mois et a un prix... multiplié par mille ! « Nous sommes passés d’une facture de 45 € à 45 000 € », soupire Nicolas Richard. Pis, depuis le 1er juin le prix de l’eau a augmenté alors qu’elle n’est toujours pas potable. Invraisemblable pour le conseiller régional : « La mairie explique que c’est pour lisser la facture, pour que celle-ci augmente moins fortement quand on retrouvera de l’eau potable. » Résultat, l’eau qui coûtait auparavant moins de 1 euro HT du mètre cube, est passé à 1,50 pour les particuliers et à 1,75 pour les « gros consommateurs », comme le CPIE. Et celle-ci va encore grimper comme le précise Nicolas Richard : « Pour pouvoir bénéficier d’aides, on est obligé de faire monter les prix à 2,35 du mètre cube. Si ce n’est pas assez cher, on ne vous aide pas. » Et, toutes ces augmentations ne sont pas pour réparer le réseau existant, pour ce bassin, le mal est fait, ce sera pour s’alimenter ailleurs. « En attendant qu’avec le manque d’eau, celui-ci soit pollué aussi », conclut, acerbe, le conseiller régional.
Pour les agriculteurs de l’Aisne, le changement des cultures s’impose
L’été 2022 a été particulièrement rude pour le monde paysan et le changement radical de température corrélé aux vents du Nord place les exploitants dans une situation difficile. Entre inquiétudes et résignation, ils tentent de s’adapter.
« Les plantes de printemps, les betteraves et les pommes de terre, n’ont pas eu le temps de faire de système racinaire et avec la chaleur elles s’assèchent » , explique Olivier Dauger. L’ancien président de la Chambre de l’agriculture de l’Aisne et administrateur du syndicat agricole FNSEA, évoque une certaine inquiétude du monde paysan quant aux températures actuelles et celles à venir. La sécheresse, déjà bien présente dans l’Aisne, fait craindre le pire aux agriculteurs du territoire. Régis Tricoteaux, éleveur laitier à Clairfontaine, en Thiérache (nord-est de l’Aisne) et élu de l’Union des syndicats agricoles de l’aisne (UNSAA) partage les craintes d’Olivier Dauger. « On essaye d’anticiper en faisant des stocks de fourrage, mais avec l’été 2022, on a tout utilisé et là, avec la chaleur, l’herbe va sécher et on va se retrouver rapidement au moment où les bêtes n’ont plus rien à manger », souligne l’éleveur. Résultat, il va sans doute falloir utiliser les stocks de fourrage bien plus tôt que prévu. Olivier Dauger abonde, un brin fataliste : « On peut produire des plantes qui consomment moins d’eau comme, justement, la betterave et la pomme de terre, on peut aussi travailler sur des couverts végétaux mais ce sont des amortisseurs, ça ne fait pas de miracle. Quand il n’y a plus d’eau, il n’y a plus d’eau. »
Des pratiques à faire évoluer dans l’urgence
Sophie Tabary, maraîchère à Lerzy, toujours en Thiérache, appréhende la situation, elle aussi, mais pas seulement l’été à venir, elle voit plus loin. « Il va falloir discuter de la raréfaction des ressources. L’agriculture est la première activité qui va souffrir du réchauffement climatique et cela arrive bien plus vite qu’on ne le pensait », s’inquiète-t-elle. Elle et son mari ont repris la ferme il y a dix ans, elle raconte : « On a des haies centenaires, à Lerzy. Nous avons planté de nouvelles mais il faut dix ans pour qu’elles puissent prendre. Celles qu’on a planté survivront-elles au changement climatique ? » Malgré ses craintes, l’agricultrice refuse de baisser les bras : « Il faut qu’on revoit toute la manière dont on implante les cultures, et avoir une vision complètement différente de ce qu’on faisait il y a 50 ans. » Elle ajoute avec conviction : « Des solutions, il y en a plein. Je suis persuadée que si on arrive à avoir quelques victoires et prouver qu’il y a des moyens d’actions, on peut acter la transition. » Elle donne comme exemple l’adaptation des cultures au climat. Régis Tricoteaux met aussi en avant la nécessité de changer les pratiques : « Nous allons devoir réfléchir à l’adaptation du nombre d’animaux par rapport à la surface disponible. » Autrement dit, avoir un nombre de génisses adaptées au renouvellement du cheptel et non le double. L’éleveur a du mal à adopter une position aussi tranchée. Il commente : « Autrement, si on n’adapte pas la taille du troupeau, il faudra trouver d’autres parcelles pour nourrir le bétail. » Pas si facile que ça de changer.
La parole à...Sophie Tabary, Présidente de l’association Bio en Hauts-de-France
Il y a plein de solutions, l’adaptation des variétés, donc moins rendements, l’agroforesterie... On peut, par exemple pour les pommiers, planter des hautes tiges ; ils sont moins productifs mais apportent plus d’ombre, ont des racines plus profondes et sont donc plus durables
Olivier Dauger, Administrateur FNSEA
Toute la question de l’évolution porte autour des variétés, de la recherche génétique et de la question de l’eau. Les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) sont très clairs, les plantations vont migrer vers le nord. Avec le réchauffement climatique, on va retrouver chez nous des productions qu’on voyait auparavant 300 ou 400 kilomètres plus au sud.
Nicolas Richard, Conseiller régional membre de la commission agriculture
Il faut changer le modèle agricole mais aussi le modèle de consommation. Si on produit moins, il faut aussi qu’on consomme moins. La politique agricole commune est un très bon outil si on s’en sert vraiment à l’échelle européenne, française et régionale. Dans notre région, on soutient aussi bien le bio que le conventionnel, a un moment il faut faire de vrais choix.
Sophie Tabary, Présidente de l’association Bio en Hauts-de-France
Il y a plein de solutions, l’adaptation des variétés, donc moins rendements, l’agroforesterie... On peut, par exemple pour les pommiers, planter des hautes tiges ; ils sont moins productifs mais apportent plus d’ombre, ont des racines plus profondes et sont donc plus durables
Olivier Dauger, Administrateur FNSEA
Toute la question de l’évolution porte autour des variétés, de la recherche génétique et de la question de l’eau. Les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) sont très clairs, les plantations vont migrer vers le nord. Avec le réchauffement climatique, on va retrouver chez nous des productions qu’on voyait auparavant 300 ou 400 kilomètres plus au sud.
Nicolas Richard, Conseiller régional membre de la commission agriculture
Il faut changer le modèle agricole mais aussi le modèle de consommation. Si on produit moins, il faut aussi qu’on consomme moins. La politique agricole commune est un très bon outil si on s’en sert vraiment à l’échelle européenne, française et régionale. Dans notre région, on soutient aussi bien le bio que le conventionnel, a un moment il faut faire de vrais choix.