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Coulisses de campagne

JPM embarque avec Fabien Roussel

Publié le 18 mars 2022 à 11:38

Cette semaine, JPM a suivi une journée de campagne de Fabien Roussel. En route pour un marathon médiatique et minuté.Quand on est président, on ne s’appartient pas complètement« Je vais finir par être bankable »

À côté du chauffeur, Fabien s’est endormi, la tête posée sur sa veste roulée en boule contre la vitre du taxi. Il est 15 heures. Faut dire que le marathon médiatique a commencé tôt ce matin. C’est à 8 heures que j’avais rendez-vous place du Colonel-Fabien. Solène, son attachée de presse, m’attendait, accompagnée de Yann assurant la sécurité de Fabien. « C’est ton job ? » que je lui demandais. « Meuh non. Je suis infirmier, délégué syndical. Alors, avec d’autres camarades, ça nous laisse du temps pour s’occuper de la campagne. On ne voulait pas de flics avec nous. » Le premier rendez-vous de la journée était à l’INA (Institut national de l’audiovisuel), à Issy-les-Moulineaux, pour enregistrer l’émission de Patrick Cohen, ADN. 40 minutes de transport. Cela laissait du temps pour débriefer. J’avais très vite senti que je devais me faire discret. Ce taxi serait le bureau de la journée, là où beaucoup de choses se discutaient. En cette matinée, Fabien était détendu, souriant : « Tu as un tournage de 10 minutes ce soir. Il te faudrait un costume » dit Solène en lui tendant le planning de la journée. « Je vais me débrouiller pour faire amener ça. » On traversait Paris. Solène et Fabien, chacun sur son téléphone, regardaient les dernières infos. « Ça merde en Corse », me dit Fabien en me montrant des photos de manifs de la veille. Tandis que Solène cale une date d’interview pour France Inter, Fabien appelle le sous-préfet de Corse, « pour en savoir plus ». En préparant cette journée « embedded [1] », j’avais pensé poser plein de questions, profiter de cette intimité. Finalement, observateur me conviendrait très bien. J’avais l’impression d’être un stagiaire de troisième. « France 2 a sorti un tableau comparatif des programmes des candidats sur leur engagement féministe. Je suis le seul à ne pas y être. C’est de la censure. Je vais appeler Nathalie Saint-Cricq ! » « Tu penseras à ton costume, Fabien. » « Oui Solène. » En arrivant à l’INA, plein de photographes attendaient. C’était pas pour moi. L’enregistrement durerait une heure, maquillage compris, dans un studio où Fabien serait seul, commentant des images sur sa vie, sa carrière. « Oh, j’ai été arrêté ce jour-là alors que l’on avait vidé Fauchon ! » « Une photo du Colonel Fabien. C’est pour cela que je m’appelle comme ça. » « Georges Marchais et Liliane dans leur jardin. Je les aimais beaucoup. Et Olivier ! Leur fils ! C’est mon ami. Il était là à Fauchon lui aussi  ! »

« Quand on est président, on ne s’appartient pas complètement »

Fabien dort. Personne ne parle dans le véhicule. Solène regarde par la vitre. Un moment de calme. Je relis mes notes... Stagiaire en 2005 au Parti, Solène était déjà attachée de presse de Marie-George Buffet, puis de Pierre Laurent. Cette campagne coûte deux millions d’euros, avec une équipe de 30 personnes. Jadot c’est 80 personnes pour 30 millions d’euros. J’avais aussi noté une conversation entre Fabien, Yann et moi sur la transparence de la santé des candidats. Yann arguait sur le secret médical, que c’était un choix personnel. J’étais d’accord. « Non, quand on est président, on ne s’appartient pas complètement » répondait Fabien. « Un pilote d’avion a régulièrement des visites médicales. Ce doit être pareil pour un président. C’est trop de responsabilités. » Le problème de la veste n’était pas réglé. Le voyage à Besançon non plus. « Je vais tourner au somnifère la nuit, au booster dans la journée » me dit Fabien. Oui, la journée allait être longue. Après l’INA, c’était une interview d’une heure, boulevard Malesherbes avec Yahoo ! 20 journalistes dans des bureaux très coworking. Ils ont une moyenne d’âge de 30 ans. « Bonjour, je m’appelle Fabien », dit l’un d’eux. « Quel beau nom, celui d’un résistant. Faites attention, vous allez finir communiste », lui dit Fabien. Tout le monde rigole. « Je me suis fait charcuter par la journaliste », dit-il en sortant dans la rue alors qu’une jeune femme l’interpelle. « Monsieur Roussel, je vous invite à boire un café quand vous voulez. » Cela le fait rire. Il faut régler le problème de la veste pour ce soir. « Mélenchon fait une conférence de presse à 14 heures, juste en même temps que la tienne », lui dit Solène. « Pfffff. » Fabien ne commente pas. Le prix des matières augmente jour après jour. Il appelle un spécialiste. « Je sais que vous ne voterez pas pour moi, mais je voudrais savoir. Peut-on envisager un achat groupé européen de l’énergie ? »

« Je vais finir par être bankable »

Retour à 13 heures place du Colonel-Fabien. Un petit resto à côté. On mange vite en commentant l’actualité sous un écran géant diffusant des clips. À 14 heures, conférence de presse. Le thème : les nouveaux partis qui soutiennent sa candidature. Les journalistes de RFI et Radio Classique lui parlent de Mélenchon. Mais Bernard Lavilliers le soutient ! J’y rencontre Alex. Il travaille aux relations avec la presse. Sortant d’études de sciences politiques à Montpellier, il a rejoint la campagne le 24 janvier. « Je n’aurais pas travaillé pour quelqu’un d’autre que Fabien », me dit-il. Solène trépigne. En plus, elle a la crève. On est en retard pour La Première, situé à Malakoff. « Vite Fabien ! » Puis, au chauffeur : « Vite monsieur, vite. » C’est alors que Fabien s’endort sur sa veste roulée en boule. On se tait dans la voiture. Solène a son fils au téléphone. Un moment de calme. On traverse encore Paris. « Fabien, on est arrivé », lui dit-elle. « Fais gaffe de ne pas avoir la marque de ta veste sur la joue », que je lui dis. Encore des photographes, toujours pas pour moi. Fabien, répond aux questions de jeunes de l’outre-mer. Il connaît le sujet. Puis on repart dans l’autre sens, place du Colonel-Fabien. 45 minutes de route. Le problème de la veste n’est pas réglé. Coup de fil de Solène à Sonia Mabrouk de CNews. « Super audience. Presque autant que Zemmour. » Fabien commente : « Je vais finir par être bankable [2]. » La suite, ce sera une réunion avec son staff sur l’Ukraine suivie du tournage. Arrivé au siège, place du Colonel-Fabien, je préfère m’esquiver. Fabien me dit « bon courage ». Je ne sais pas pourquoi il me dit ça. Dans le métro, je me demandais comment qualifier cette journée. L’enthousiasme fut le mot qui me vint. C’était rassurant. Demain matin, pour lui, ce sera le grand oral devant la CFDT pendant que j’écrirai l’article que vous lisez. Demain soir, je serai à son meeting au Cirque d’Hiver. Mais un truc me turlupinait. A-t-il réglé le problème du costard pour le tournage ? Je ne saurai jamais.

Notes :

[1Embarqué en anglais.

[2Qui apporte du succès, qui rapporte de l’argent ou des financements, en anglais.