Lille

Une militante de la solidarité et de la libération des femmes vient de mourir

par Jean-Jacques Le Masson
Publié le 11 décembre 2020 à 16:38

Paule Le Masson, mère de notre camarade Jean-Jacques Le Masson, et que quelque milliers de femmes ont connue pendant le dernier demi 20ème siècle, vient de mourir dans sa 99ème année. Elles l’ont connue en accouchant sans douleur et en préparant leur accouchement : Paule Le Masson a été l’une des pionnières en France de l’accouchement psychoprophylactique, initiée par le Docteur Fernand Lamaze. Des amis de sa famille, Martha Desrumaux, la première députée communiste, le Docteur Simonot, lui avaient fait connaître les expériences soviétiques du professeur Nikolaiev et l’expérience menée par le Docteur Lamaze à la clinique des métallos de la CGT, rue des Bluets à Paris. Elle alla y étudier avec Lamaze et revint à Lille enthousiasmée. Elle consacra alors pendant de longues années une activité considérable à enseigner ces préparations et pratiquer ces accouchements. Au-delà de cette activité professionnelle intense qui la passionnait, elle fut une militante féministe active de l’Union des femmes françaises et une diffuseuse très efficace d’« Heures-Claires des femmes françaises  », tout en militant à la FNDIRP (Fédération nationale des déportés, internés et résistants) où elle s’est liée d’amitié avec d’anciennes déportées qui la soutenaient dans ses activités. Elle se sentait directement concernée dès son plus jeune âge par l’exclusion et la pauvreté : elle est arrivée en France en 1924 dans les bras de sa mère à l’âge de deux ans. Son père, paysan-mineur dans un minuscule village du nord de la Yougoslavie, Pongrac, avait été importé en France, à Wingles dans le Pas-de-Calais, par une compagnie minière. La famille avait ensuite été expulsée dans les années 30 pour des raisons « économiques ». D’autres « raisons économiques » les avaient fait revenir en France sous le Front Populaire… Elle avait toujours en elle la crainte de l’exclusion : lorsque N. Sarkozy entreprit d’expulser des étrangers, et alors qu’elle était française par son mariage depuis des dizaines d’années et avait fait naître des milliers de Français, elle posa à son fils aîné cette question : « Crois-tu qu’ils vont m’expulser ? » Sa scolarité perturbée, elle s’engagea très jeune, de son propre chef, comme bonne dans une famille lilloise. Mais elle décida d’entreprendre des études d’infirmière et de sage-femme, qu’elle réussit. Elle organisa et participa, pendant et après sa carrière de sage-femme, à plusieurs opérations d’aide aux populations - particulièrement aux enfants - soumises à la guerre ou à la catastrophe : Ukraine (Tchernobyl), Yougoslavie (son pays natal ravagé par la guerre civile), Sri Lanka, etc. Le cinéaste Noël Broly a réalisé un film dans lequel elle parle de son métier et de sa passion.

Comment est né l’ASD de Lamaze ?

En 1947, le docteur Pierre Rouquès propose à son collègue Fernand Lamaze de venir le rejoindre à Paris à la clinique des Bluets, qu’il dirigeait. L’amitié entre les deux hommes date de la Résistance. Lamaze accepte immédiatement et prend, sous les auspices de la CGT et de Benoît Frachon, la direction du service d’obstétrique de la clinique, dite polyclinique des métallurgistes. Dans la foulée de 1936, l’Union syndicale de la métallurgie CGT avait acheté un ancien entrepôt de machines, pour offrir un centre de santé aux salariés de la métallurgie et à leurs familles. En août 51, Pierre Rouquès est invité à venir en URSS pour prendre connaissance de la méthode psychoprophylactique mise au point par des obstétriciens et des sages-femmes soviétiques pour que les femmes accouchent sans douleur. Malade, il est remplacé par Fernand Lamaze qui, tout sympathisant qu’il est, est très sceptique devant ce qu’il considère d’abord comme une opération de propagande consistant à convaincre 48 délégations de médecins venant du monde entier du bien-fondé de la médecine soviétique. Le 4 septembre 1951, il parvient enfin à voir une femme accoucher sans douleur dans le service du professeur Nikolaiev à Leningrad. C’est pour lui un choc : « La douleur paraissait alors la rançon fatale de l’accouchement. Ce n’est plus. J’ai de mes yeux vu une femme accoucher sans douleur. Je suis témoin. J’ai trente ans de pratique obstétricale, cela ne trompe pas. On n’a pas pu me bluffer. Un accouchement sans douleur, sans agent thérapeutique et médicamenteux, était possible. » Rentré en France, Fernand Lamaze promeut en France la méthode d’accouchement qui porte toujours son nom. Pendant six ans, avec le soutien sans faille de la clinique des Bluets et le soutien financier de l’Union fraternelle des métallurgistes de la Seine, il se met à l’œuvre, aménage la méthode psychoprophylactique pour réaliser celle qui, depuis, porte son nom et rayonne dans le monde entier. Lamaze repensait sans cesse sa méthode. Il a ainsi inventé la respiration haletante du « petit chien » qui facilite l’expulsion du nourrisson. Parmi ses autres trouvailles, il a eu l’audace de faire entrer le père dans la salle de travail et de l’associer à la préparation et à l’accouchement : une démarche qui représentait un puissant levier d’égalité ultérieur dans le couple.