Réforme des retraites

La face cachée du projet de réforme

Décryptage

par FRANCK MARSAL
Publié le 6 décembre 2019 à 11:51

Bien au-delà de la question des régimes spéciaux, le projet de réforme vise à transformer nos cotisations en assurance vie. Il est urgent de s’informer et de débattre.

Depuis quelques jours, rien ne manque : spots de publicités (payés par l’argent public), déclarations de ministres, questions bien orientées de journalistes amis... c’est un véritable tir de barrage pour détourner l’attention de la population : haro sur le cheminot ! Haro sur les régimes spéciaux ! La réforme n’aurait qu’un but « égaliser  ». Jamais ce gouvernement n’a parlé autant d’égalité ! Il se garde bien, cependant, d’expliquer pourquoi, s’il s’agit d’égaliser, il ne suffit pas de mettre tout le monde au régime général. Et pourquoi tant de professions du régime général se préparent à la grève et à l’action ?

Suppression du régime général

La réalité est tout autre : le projet du gouvernement, qu’il appelle dans son langage technocratique « réforme systémique », c’est la suppression pure et simple du régime général tel que nous le connaissons, à quelques évolutions près, depuis qu’Ambroise Croizat l’a mis en place en 1947. Ce n’est donc pas une réforme des régimes spéciaux. Les régimes spéciaux sont touchés par cette réforme au même titre que les autres. Ce n’est pas non plus une énième réforme, qui, comme celles que nous avons connues, et pour ma part combattues, ces dernières années, viendrait prolonger la durée du travail, réduire le taux de remplacement du salaire, introduire de nouvelles décotes... Non, il s’agit de bien autre chose. Le régime général de la sécurité sociale est construit sur le salaire et le remplacement du salaire. Le salaire étant ce qui permet au travailleur de vivre, parfois malheureusement seulement de survivre, c’est de plus en plus le cas pour des millions de « travailleurs pauvres. » Il est (devrait être) la référence d’un niveau de vie décent. Donc, la logique d’Ambroise Croizat, qui était celle du Conseil national de la résistance, fût d’assoir la retraite sur un taux de remplacement du salaire que chacun avait avant son départ en retraite. Aujourd’hui encore, malgré toutes les réformes, la retraite à taux plein correspond dans le privé à 50 % du salaire moyen complet (primes comprises) des 25 dernières années et dans le public à 75 % du seul salaire indiciaire. Le mode de calcul est un peu différent, les études montrent que le résultat en euros est similaire à qualification égale, mais surtout, le point commun est que la retraite reste basée sur le salaire, avec un pourcentage garanti.

Quelle valeur pour le point ?

Le projet du gouvernement, c’est de passer du salaire au point. Qu’est-ce qu’un point ? Mystère. Chaque salarié connaît son salaire. Il sait donc estimer ce que sera sa pension de retraite. Désormais, les cotisations seront transformées en points. Et qui dira ce que vaudront, en euros de retraites, les points durement acquis ? Le gouvernement ne dit rien de très clair à ce sujet, mais on sait bien que ce ne sera pas nous ! Dans un premier temps, probablement, une obscure commission interministérielle, du genre de celle qui augmente les prix de l’électricité et du gaz depuis plus de dix ans. Il y a deux objectifs à ce changement, l’un est annoncé, l’autre ne l’est pas mais il est facile à comprendre. Premièrement, le gouvernement souhaite limiter le poids global des pensions de retraite à 13,8 % du PIB. La valeur du point sera l’instrument de ce contrôle. Comme le nombre de retraités augmentera, la valeur du point diminuera et, avec elle, le montant des pensions. Le gouvernement tiendra dans sa main le robinet et il pourra serrer la vis à volonté. « Retraite à points » ce sera chaque année « retraite en moins.  » Deuxièmement, la mise en place des retraites à points rend l’ensemble du système compatible avec les règles de la spéculation financière. Pour celui qui travaille, le point est une épée de Damoclès. Comment vais-je pouvoir vivre si le point varie ? Pour la finance et les spéculateurs, qui raffolent d’indices boursiers et de produits dérivés, c’est du pain béni. Cette réforme prépare l’ouverture aux marchés financiers du système de retraites. La cotisation de retraite deviendra exactement semblable à un contrat d’assurance vie : vous cotisez, vous gagnez des points, et le moment venu, on vous verse une assurance. Si cette réforme est adoptée, les spéculateurs, s’appuyant sur le droit européen, réclameront et obtiendront l’« ouverture à la concurrence » de la gestion des cotisations. Les entreprises ne verseront plus les cotisations à une caisse publique, contrôlée démocratiquement, mais à des fonds et assurances privés qui spéculeront avec ces énormes masses financières (environ 260 milliards d’euros par an). Non seulement, au moment de notre retraite, le point sera abaissé pour respecter les objectifs « macroéconomiques  », mais il faudra déduire de ces 13,8 % du PIB, la part de gâteau des actionnaires et des spéculateurs. Et lorsque l’un (ou plusieurs) d’entre eux fera faillite, on piochera dans la poche de l’État (donc dans celle des salariés) pour le renflouer.

Haro sur le cheminot

Voilà le véritable contenu et les véritables objectifs de la « réforme systémique » du gouvernement et pourquoi tous les moyens sont bons pour détourner l’attention et crier « haro sur le cheminot ! » La bataille s’engage et certains secteurs seront massivement mobilisés. Au-delà de la défense des retraites, la situation des services publics, hôpitaux, SNCF, éducation, pompiers... est devenue insupportable. Mais aujourd’hui, seule une mobilisation générale, tous ensemble, privé et public réunis, sauvera notre régime général afin de permettre, c’était la formulation du Conseil national de la résistance, « aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours. » Pour cela, et face à la propagande du gouvernement, il faut que chacun s’informe, explique à son tour, diffuse l’information et s’exprime. Débattons ensemble, alertons, que sur chaque lieu de travail la parole s’ouvre pour que chacun s’interroge et, si nous en sommes tous d’accord, nous agissions ensemble.

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Retraites Réforme