© Jean-François Garcia
Face au dialogue de sourds et au passage en force

Le monde du travail durcit son opposition à la réforme

par Philippe Allienne
Publié le 10 mars 2023 à 13:08

Ni le président Macron, ni le gouvernement ne veulent entendre les opposants à la réforme des retraites. Ne tenant pas compte de la bonne tenue de la mobilisation, ils vont à l’épreuve de force.

Après le succès des mobilisations des 7 et 8 mars (plus de trois millions de manifestants en France), et avant celle du 11 mars, les syndicats ont demandé à être reçus par le président Emmanuel Macron. Ce dernier leur a adressé un refus. Ce geste ressemble fort à un bras d’honneur adressé au monde du travail qui défile dans les rues et qui, à l’instar d’Enedis ce jeudi, de TotalEnergies ou de la SNCF, reconduit ses actions ou mène des actions de blocage. Le rétablissement d’un dialogue social entre l’Élysée, le gouvernement et les syndicats semble décidément impossible. Pour le dirigeant de la CGT, Philippe Martinez, c’est de « l’indifférence ». Son homologue de la CFDT, Laurent Berger, fustige le « mépris » du gouvernement.

Le monarque refuse

Même à droite, les partisans d’Aurélien Pradié en sont convaincus. Ce mercredi 9 mars, le député LR du Lot, accompagné d’une vingtaine de ses collègues, a échangé avec le secrétaire de la CFDT Laurent Berger. Parmi ces élus, Pierre-Henri Dumont (7e circonscription du Pas-de-Calais) estime que cette réforme est un « totem politique » qui doit permettre au président de « montrer qu’il peut réussi seul contre tous ». Proche de Xavier Bertrand, Julien Dive (2e circonscription de l’Aisne) ne se gêne pas pour dire que « le rendez-vous avec Laurent Berger illustre parfaitement le dialogue qu’il faut avoir avec les partenaires sociaux mais qu’a perdu le gouvernement ». Surtout, ce refus d’Emmanuel Macron de se retrouver face à face devant les dirigeants syndicaux intervient juste après la décision de la majorité sénatoriale d’accélérer la procédure d’examen du projet de loi. Cela lui a notamment permis de faire adopter le fameux article 7 du texte, celui qui porte sur le report du départ en retraite à l’âge légal de 64 ans.

La France qui travaille est dans la rue

La gifle est cinglante surtout quand on écoute les manifestants et les salariés sur les piquets de grève. Les témoignages qui reviennent le plus souvent portent sur la pénibilité au travail. Ainsi de ces ouvriers sidérurgistes qui, à moins de quarante ans, se voient très mal poursuivre au-delà de 62 ans. « Nous sommes usés et nous ne parvenons pas à récupérer à cause du travail posté » confie un salarié d’ArcelorMittal à Dunkerque. On comprend qu’il n’est pas besoin de charger la barque. Chez les femmes, particulièrement défavorisées par le texte, les griefs sont identiques. Partir plus tard, surtout quand on exerce un métier pénible et souvent à temps partiel, ne présage pas d’une vie agréable après le travail. À la pénibilité s’ajoute le coût de la vie, très aggravé par l’inflation. Mais il faut aussi tenir compte de rémunérations souvent trop faibles. Chez ArcelorMittal, encore, les salariés se sont déjà mis en grève il y a quelques mois pour protester contre un « mauvais calcul de l’intéressement annuel » : 3 % de la masse salariale au lieu de 17 % chez leur voisin Aluminium-Dunkerque ! Pour eux, le dossier des retraites est la goutte qui fait déborder le vase.

Et des jeunes pas contents du tout...

Le constat est le même partout : dialogue de sourds, mépris, coût de la vie... Les jeunes aussi rejoignent de plus en plus le mouvement. Ce jeudi 9 mars, c’est leur tour de faire connaître spécifiquement leur refus de la réforme. Avec blocage des lycées et des universités, du jamais vu depuis longtemps comme à l’Université de Lille et à Sciences Po Lille. Chez ce dernier, le directeur Pierre Mathiot fait face à la grève des étudiants en décidant, illégalement, l’instauration de cours en distanciel. De quoi attiser encore davantage la colère des jeunes.

Paroles de syndicalistes unis

Marie-Christine Nicloux

Secrétaire générale UD CGT Oise

Il n’y a pas que la réforme des retraites, il y a aussi les salaires, les factures qui augmentent, le coût de l’énergie. La détermination est bien là. À notre échelle, il est important d’expliquer qu’il est plus intéressant de faire grève en continu que par à-coups car, d’une part, cela traduit un plus fort mécontentement et, de l’autre, il est plus facile pour nous, syndicats, de négocier un étalement des jours de grève à la reprise. Ainsi, cela se ressent moins sur la paie. Donc on encourage une grève longue et continue. Dans l’Oise, nous avons un site stratégique, Storengy, qui est le dépôt de gaz pour tous les Hauts-de-France. L’action des grévistes a fait baisser de 40 % l’approvisionnement. De même, les cheminots de Creil reconduisent la grève. Le soufflet n’est pas prêt de retomber.

Guillaume Hily

Secrétaire syndical de la FSU (Aisne)

La manifestation a été un grand succès dans notre département avec plus de 15 000 personnes entre Saint-Quentin, Laon et Soissons. Encore plus qu’en 2003 et en 1995 ! Dans l’enseignement du 1er degré, il y avait environ 45 % de mobilisation, un peu moins dans les collèges et les lycées. Pour faire reculer l’État, il faut maintenir une unité syndicale forte. Le blocage économique ne passe pas par notre secteur d’activité, mais nous allons tout faire pour soutenir nos collègues des transports et de l’industrie.

Rabah Dahmani

Secrétaire général de l’UL FO Halluin (Nord)

On ne veut pas de cette réforme. Ni l’âge de départ à 64 ans, ni les 43 annuités. En intersyndicale, on a décidé, quelle que soit l’issue des débats au Sénat, que le combat n’est plus à cette seule réforme des retraites. On ne va pas crier victoire si le texte ne passe pas, mais c’est très grave s’il passe. Désormais, maintenir l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans ne suffit plus. Notre combat va plus loin. Notre réflexion évolue en intersyndicale. Nous sommes dans une bataille des idées, on a l’opportunité d’avoir un vrai débat de société. La droite va perdre toutes les élections à venir, la majorité des Français est trop en colère. On le voit dans les manifs, il n’y a pas que des syndiqués. Ça va chauffer les prochains mois mais on est tous prêt.

Alain Treutenaere

Président de la CFE-CGC (Pas-de-Calais)

Nous étions plus nombreux que d’habitude avec environ 5 000 personnes à Arras et surtout plus de jeunes et de lycéens. Aujourd’hui, la CFE-CGC est mobilisée comme jamais au sein de l’intersyndicale pour demander le retrait de la réforme. Les manifestants se regroupent dans la bonne humeur à Arras et c’est dommage d’encore entendre la peur des casseurs comme excuse. Je n’imagine pas à une seconde que l’exécutif ne réagisse pas, mais si c’est le cas, il faudra qu’on réfléchisse à une suite de mouvement qui soit adaptée au silence du gouvernement.

Nathalie Cagny

Secrétaire régionale de la CFDT, responsable de la Somme

L’intersyndicale fut un succès avec 8 000 manifestants à Amiens, 2 500 à Abbeville, 500 pour Albert et plusieurs ronds- points ont été bloqués à Roye. Globalement, nos actions on été bien perçues, les automobilistes ont été compréhensifs et conscients des enjeux. Il faut également souligner que tout s’est bien passé avec les services d’ordre, ce qui n’est pas toujours le cas. Avec les 49.3 et la loi de finances, on sait que le gouvernement trouvera des contournements, mais plus il sera borné, plus l’intersyndicale sera motivée à se mobiliser jusqu’au retrait de cette loi.

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Hauts-de-France