© Marc Dubois
La mobilisation à Lille

Un « combat juste » contre un « gouvernement qui est du mauvais côté »

par Nadia DAKI
Publié le 3 février 2023 à 14:10

D’aucuns se souviendront de cette journée de mobilisation comme un mouvement historique bis, après celui du 19 janvier. L’enjeu était de taille puisqu’il s’agissait de réitérer le succès de la précédente mobilisation. L’intersyndicale fait bloc et la détermination était palpable dans les rangs. « Ce n’est pas l’affaire de la CGT. On ne peut pas réduire cet élan du peuple à ça. La preuve, toutes les organisations syndicales sont là, mais surtout c’est l’affaire de tous puisque les Français sont dans la rue, en masse, contre cette réforme », introduit Gérard, militant à la CGT. La chanson du Roubaisien HK, désormais hymne dans les manifestations, donne le la. « On lâche rien » est repris en chœur d’une seule et même voix.

Un rejet en bloc

Cette détermination revient souvent chez les personnes rencontrées. « On n’accepte pas cette réforme, on n’en veut pas maintenant et on n’en voudra pas demain. On ne lâchera pas », confirme Patrice, gilet jaune de Caudry. À 60 ans, il explique venir « se battre pour ses enfants ». Le matin à Cambrai, c’était impensable pour lui de ne pas être présent l’après-midi à Lille. « On est parti avec trois bus pleins. On est dans la rue pour réclamer plus de pouvoir d’achat et pour défendre les petites retraites, comme il y a quatre ans. » Les lycéens sont venus en renfort. Moins nombreux lors de la manif du 19 janvier, ils rejoignent désormais le mouvement. Ils donnent de la voix et rejettent purement et simplement cette réforme. Le cortège est multiple, à la fois intergénérationnel et interprofessionnel. Après avoir bloqué le périphérique avec des feux de pneus, les pompiers sont également nombreux à marcher. « On est face à un gouvernement qui essaie de passer en force. Et ce, malgré des mobilisations historiques qu’on n’a pas vues depuis les années 90. Mais s’il reste arc-bouté sur sa position, ce serait une forme de discrimination. Comment un gouvernement peut-il ignorer à ce point la rue alors qu’elle est un baromètre de la démocratie ? », s’interroge Marc Lehoucq, secrétaire général CGT chez les pompiers du Nord.

Les Métallos belges en soutien

À ses côtés, des manifestants ont franchi la frontière pour soutenir la mobilisation. Les Métallos FGBT de la région de Bruxelles sont venus battre le pavé lillois. Une trentaine a quitté le plat pays aux alentours de 10 heures. Avec un sentiment de déjà-vu pour eux et une mise en garde. « C’est un combat que nous avons déjà mené et que malheureusement nous avons perdu. La retraite est désormais à 65 ans chez nous, ce qui est très tard dans nos métiers très pénibles », regrette Najar Lahouari, président des Métallos de Bruxelles qui représente 15 000 affiliés. « Ces réformes sont inacceptables, on s’est mobilisé mais on n’y est pas arrivé. Chez nous, elle est passée en force pendant les vacances lorsque les mobilisations étaient plus faibles. » Il reste néanmoins confiant pour l’issue en France. « On sent qu’il y a quelque chose qui bouge ici. Rien n’est immuable. Ce que vous, les Français, demandez est juste et légitime. Aujourd’hui, c’est le gouvernement qui est du mauvais côté. La pression de la rue peut rebattre les cartes. On dit souvent que ceux qui se battent peuvent perdre. Mais ceux qui n’essaient même pas ont perdu d’avance. »

La marche se fait en rangs serrés. « Nous, personnels de l’éducation, savons que nous partirons tardivement à la retraite car nous sommes entrés tard dans le monde du travail après de longues études. Et pourtant, nous sommes là car cette réforme est à la fois injuste, cynique et brutale », estime Nicolas Penin, secrétaire régional Hauts-de-France Unsa (Union nationale des syndicats autonomes)-Éducation. Et de poursuivre : « Deux ans de plus sans aménagement de poste, même pour nous enseignants, ce n’est pas anodin. Cela ne va pas améliorer l’attractivité du métier. »

« Macron, entendez le cri du peuple ! »

Beaucoup d’entre eux étaient déjà là le 19 janvier. Face à la fermeté du gouvernement, ils ne se démontent pas. « Ce gouvernement est en train de pousser le pays vers les extrêmes en étant lui-même extrémiste. Cette réforme et les autres qu’il porte sont le reflet d’une philosophie libérale. Quand on est élu président dans les circonstances que l’on connaît, cela n’autorise pas à faire tout et n’importe quoi », rappelle Nicolas Penin. L’heure n’est plus aux négociations. Le secrétaire Unsa-Éducation des Hauts-de-France évoque une possible sortie de crise. « Le référendum peut être une solution, juge-t-il. C’est une manière démocratique, constitutionnelle et légale d’interroger le peuple même si actuellement ce dernier sait se faire entendre. » Le risque d’un essoufflement du mouvement est balayé d’un revers de la main par nombre de manifestants. « Il y a un noyau dur de mécontents qui est très élevé. Si cela s’avère nécessaire, le mouvement va s’inscrire dans le temps, il sera durable », prévient Nicolas Penin. Une analyse que partage Laurent, 43 ans, chef de poste dans l’industrie chimique à Mazingarbe. « Le mouvement va se durcir avec le temps. Faire grève, ce n’est pas un plaisir. Mais c’est le seul moyen que l’on a pour se faire entendre. Macron, entendez le cri du peuple ! », lance-t-il. La durée d’un mouvement qui s’installe dans le temps ne fait pas peur à Chrystelle, aide-soignante dans un Ehpad (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) dans les Flandres. 37 ans de service au compteur, elle voit sa retraite s’éloigner encore un peu plus avec cette réforme. Elle tient aujourd’hui uniquement grâce aux anti-douleurs, confie-t-elle. « Cette semaine, on était deux pour s’occuper de 52 patients. On est sur les rotules, nos corps sont brisés. Ces conditions, ce n’est plus possible. On ne soigne pas du bétail », s’étrangle-t-elle. Une dégradation des conditions que connaît également Damien Scali, cheminot CGT. « On est clairement dans la lutte des classes, tranche-t-il. Ça fait des années que nous, travailleurs, faisons le dos rond, on vient prendre notre revanche. Ce n’est pas juste la réforme des retraites qu’on combat, c’est l’ensemble de leur projet global. Élisabeth Borne a dit que rien n’est négociable. C’est le seul point où on est complètement en accord avec elle. On ne négociera pas. Cette fermeté est à la fois une arrogance et un aveu de faiblesse. Darmanin est le premier bordélisateur de France. La rue les fera plier. Notre 49.3 à nous, c’est la grève générale. » L’intersyndicale prépare la suite du mouvement : elle appelle à deux nouvelles journées de grèves et des manifestations mardi 7 et samedi 11 février.

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