De 5 h 30 à 13 heures, six jours durant, posté devant une rigole de feu

Vie d’un sidérurgiste d’ArcelorMittal...

par Philippe Allienne
Publié le 17 mars 2023 à 15:55

Sur les sites sidérurgiques d’ArcelorMittal, à Dunkerque et Mardyck, la pénibilité au travail est une réalité vécue quotidiennement. Récit.

D’abord, commence Gaëtan Lecocq, secrétaire adjoint du syndicat CGT de l’usine de Dunkerque, nous travaillons en feu continu et en cinq équipes. Cela veut dire que nous pouvons commencer un samedi matin et partir pour un cycle de six jours de 5h30 à 13 heures. Autant vous dire que lorsque nous sommes dans cette équipe, le week-end est mort d’autant plus que nous sommes aussi amenés à travailler le dimanche matin ! » Chez ArcelorMittal, la moyenne d’âge des salariés se situe entre 35 et 40 ans. Pourtant, la fatigue se fait très vite sentir. Les travailleurs postés sont mobilisés deux week-ends sur trois. Quand l’épouse a elle aussi un emploi, cela n’est pas sans conséquence sur l’équilibre du couple. « Cela dérègle complètement notre rythme de vie. »

Des trajets longs qui ajoutent au temps de travail

Tous n’habitent pas à proximité des usines. Alors, il faut se lever tôt, très tôt même pour certains d’entre eux qui vivent à Saint-Omer ou à Auchel, à plus de 80 kilomètres. Même chose pour ceux qui ont été repris sur le site dunkerquois lorsque l’aciérie d’Isbergues a fermé en 2006. Ils sont quelques-uns qui viennent de Béthune ! Certes, il y avait bien les lignes de bus reliant Hazebrouck à Calais. Mais c’était il y a un an et demi. Car depuis, elles ont été retirées au profit de navettes. Ou alors, on doit avoir recours à son véhicule personnel. Plus question de se reposer dans le bus. Il arrive ainsi que des ouvriers arrivent sur le site dans un état de fatigue anormal. « Quand on travaille sur les hauts-fourneaux ou sur le Matagglo, l’outil qui alimente ces derniers en fonte, c’est particulièrement dur. Il faut déboucher pour que la fonte coule dans la rigole. Quand ça passe mal dans la coulée et qu’une tuyère est bouchée, la plupart du temps à cause de la poussière, il faut déboucher à la masse. La chaleur est intense et les ouvriers portent des manteaux ignifugés et des masques ventilés, avec des filtres. C’est insupportable. » L’usine s’étend sur 450 hectares. Elle est l’un des plus grands sites de laminage à chaud en Europe. Elle se divise en quatre départements de production : la fonte avec les hauts-fourneaux et la zone Matagglo, l’aciérie, la cokerie et le train continu à chaud (TCC).

Maladies professionnelles graves

Ces différentes installations demandent de toute façon beaucoup d’effort physique. La poussière et le bruit sont difficilement supportables. Et comme l’outil est vieillissant, cela n’arrange rien. «  Il y a déjà eu des explosions dans l’aciérie et des ouvriers ont trouvé la mort. Il y a quelques années, un intérimaire a fait un malaise et, étant donné les conditions, il n’a pas été possible de le ranimer. » Les intérimaires sont nombreux. Sans eux, il serait très difficile de faire tourner l’aciérie. À la cokerie, les substances de gaz sont particulièrement nocives. Ailleurs, ce sont les produits chimiques qui provoquent des cancers du rein. Si les problèmes de santé sont bien réels, les organisations syndicales peinent à obtenir des informations fiables. Certes, la médecine du tra- vail fait du suivi et établit des bilans. Mais les salariés n’ont pas confiance dans les chiffres transmis par la direction. Celle-ci aurait trop tendance à évoquer ceux qui fument et qui boivent pour dissimuler la réalité ! Dans l’usine, la CGT ne fait pas que se battre contre la réforme des retraites que veut imposer le gouvernement. « Avec une espérance de vie en recul de dix ans par rapport à la moyenne, en raison des maladies professionnelles, nous revendiquons un départ à 55 ans avec un plan d’aménagement de fin de carrière. » Une revendication qui ne devrait pas être utopie.

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