- Que représentent les antennes du PT ? Ce sont des représentations du Parti des travailleurs (Partido dos Trabalhadores) créé en 1980 par Luiz Inácio Lula da Silva et Olívio Dutra dans le cadre de la résistance pour mettre fin à la dictature militaire. C’est un parti de centre gauche, social démocrate dont sont issus deux présidents progressistes : Lula de 2003 à 2011, et Dilma Roussef de 2011 à 2016. Et à nouveau Lula aujourd’hui. Pour créer une antenne à l’étranger, il faut un minimum de dix personnes affiliées au parti. Il en existe 58 dans le monde, à l’extérieur du Brésil, réparties dans 21 pays. En France, il en existe deux : l’antenne de Paris, créée il y a dix ans, et celle de Lille créée le 13 novembre 2022, juste après l’élection de Lula à la présidence du Brésil.
- Quel était l’objet de cette antenne lilloise ? La métropole lillois compte environ 500 Brésiliens ou Franco-Brésiliens (dont près de 300 étudiants qui sont de passage). Il faut savoir qu’au Brésil, les élections sont obligatoires. Mais les Brésiliens qui résident en France ne peuvent voter qu’à Paris. Pour nombre d’entre nous, cela demande un grand déplacement (et je ne parle pas que de Lille qui n’est pas très loin de la capitale) et un coût important, surtout quand une élection comporte deux tours. Alors, fin août 2022, nous nous sommes organisés en collectif pour affréter un bus et aller voter à Paris.
- C’était un collectif du PT ? Non, il réunissait des gens de gauche qui voulaient voter contre Bolsonaro. Mais il y a pas qu’un parti de gauche et les anti-Bolsonaro ne votaient pas forcément pour Lula. En tout cas, pour nous, l’essentiel était de voter et de voter contre Bolsonaro. Nous souhaitons d’ailleurs que l’on puisse installer à l’avenir des bureaux de vote dans les antennes afin d’éviter aux électeurs des déplacements longs et coûteux.
- Comment voyez-vous le Brésil aujourd’hui et que pourra vraiment faire le nouveau président ? Il faut rester lucide. Lula ne pourra pas travailler seul et il a composé son gouvernement en conséquence. Mais il a retrouvé un pays détruit. Il faut tout reconstruire. Même les institutions qui n’existaient que pour les puissants. Parmi ses priorités, il lui faut résoudre le problème de 33 millions de personnes qui vivent dans la misère. Il vient d’ailleurs de remettre en place, de façon durable, les allocations familiales que Jair Bolsonaro avait supprimées puis rétablies pour des raisons électoralistes. Nul doute qu’il s’y serait réattaqué s’il avait gardé le pouvoir. Lula a par ailleurs ouvert le dossier de la hausse des salaires. Ces derniers n’avaient pas été revalorisés depuis quatre ans alors le pays subit une inflation galopante.
- Donc, le nouveau président sait prendre les problèmes à bras le corps. Mais il va devoir faire face à de nombreux obstacles. Nous ne somme plus dans la décennie 2000. Oui, mais regardez bien. Jusqu’ici, le Brésil s’enfonçait dans l’isolement. Lula vient de se rendre en visite officielle en Argentine pour sécuriser les accords de la Celac (Communauté des États latino-américains et caribéens, ex-Mercosur – ndlr). Il part le 12 février aux États-Unis où il va rencontrer Joe Biden. En quelques semaines, notre pays revient sur la scène internationale. Il a aussi commencé à lutter contre la déforestation et contre les orpailleurs. Il y a un message, un peu comme un slogan daté du 20 janvier, qui dit : « 20 jours de gouvernement, 20 mesures importantes. » Alors c’est vrai, nous avons bien compris que les quatre années de présidence seront difficiles. Mais Lula est entouré d’une super équipe très compétente. Même si les coffres sont vides, les chances de réussir sont importantes. Le pays compte beaucoup de richesses. La tâche est immense, mais la personnalité de Lula est un atout. Par ailleurs, la gauche est majoritaire à la Chambre des députés. 13 partis se sont ralliés.
- Mais pouvez-vous revenir sur les obstacles auxquels il aura à faire face ? Le pays est fortement divisé. Il y a une vraie faction et les résultats de l’élection présidentielle le montrent bien. Il y a une véritable lutte des classes. Les riches représentent moins de 10 % de la population. Et la classe des riches sait se protéger derrière les églises évangéliques qui sont de véritables sectes servant à endoctriner les gens. Il n’y en a pas moins de 5 000. Je l’ai bien senti la dernière fois que je suis allée au Brésil. Je rendais visite à ma mère. Rien que dans la rue où elle habite, j’ai compté 11 églises évangéliques. Ce sont souvent de petits garages. Le propriétaire y crée le local de son église et reçoit les gens pour les influencer. Il y a 20 personnes à l’intérieur et 60 à l’extérieur pour écouter ! C’est cela la force des bolsonaristes. Ils travaillent sur la religion et la morale en faisant de la démonisation contre le PT ou les partis progressistes. Ce travail a été fait dès avant 2016, c’est-à-dire avant l’arrivée de Bolsonaro. En gros ils disent : Lula n’aime pas Dieu, la famille, la patrie. C’est comme cela qu’avec l’appui de ces évangélistes l’avortement est toujours interdit. C’est comme cela aussi que le commerce des armes, auquel s’attaque Lula aujourd’hui, avait atteint des proportions gigantesques. Et au Sénat, qui est majoritairement bolsonariste, les esprits commencent à évoluer depuis l’attaque du 8 janvier contre les institutions.
- Cette attaque procédait d’une tentative de déstabilisation ? Absolument. Un document signé de la main de l’ex-secrétaire à la Sécurité de Bolsonaro indiquait que l’objectif de ces actes de vandalisme était que Lula demande la Garantie Loi et Ordre (GLO) à l’armée. C’était pour prouver qu’il avait perdu le contrôle. Heureusement, le ministre de la Justice s’y est opposé. Ce sont les forces de police fédérale qui sont intervenues. L’armée, c’est l’autre danger. Il importe de la canaliser. 150 limogeages de cadres ont déjà eu lieu depuis début janvier.
- L’antenne lilloise du PT a organisé une manifestation place de la République, à Lille le 11 janvier pour protester contre cette attaque à Brasilia. Vous prévoyez d’autres actions ? Nous demeurons attentifs et vigilants. Nous avons également signé un manifeste, avec nos camarades de l’antenne de Paris, pour soutenir les autorités brésiliennes qui ont annoncé, le 24 janvier, avoir ouvert une enquête pour « génocide ». Cela concerne la mort en 2022 d’une centaine d’enfants de moins de cinq ans, dans le territoire indigène yanomami. C’est un territoire qui a été dévasté par les orpailleurs durant la présidence de Bolsonaro.
Propos recueillis par Philippe ALLIENNE