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Grande-Synthe

Des exilés attaquent la ville contre les conditions de leur expulsion

par Philippe Allienne
Publié le 13 mai 2022 à 17:38

Six exilés kurdes, à Grande-Synthe, ont saisi la justice sur les conditions dans lesquelles se font les expulsions des points de fixation. L’audience qui s’est déroulée au tribunal judiciaire de Dunkerque, ce mardi 10 mai, revêt un caractère exceptionnel.

À Calais et à Grande-Synthe, Human rights observers (HRO), un projet de l’Auberge des Migrants, observe les conditions des exilés candidats à la migration vers la Grande-Bretagne. Chaque mois, cette organisation publie un compte-rendu des expulsions de campements visant, selon les autorités préfectorales, à empêcher les points de fixation. Ce sont précisément les conditions de ces interventions policières qui ont conduit six exilés à aller devant la justice. En l’occurrence, c’est la ville de Grande-Synthe qui est poursuivie. L’avocat des personnes en exil, Me Jérôme Giustini, du barreau de Paris, a été saisis par HRO et l’association Utopia 56 qui soutiennent les exilés. Ces derniers ont choisi d’aller en justice « suite à la destruction totale de deux lieux de vie informels à Grande-Synthe les 13 et 26 octobre 2021 ».

Harcèlement et dissuasion

« Les migrants n’en pouvaient plus de se voir lacérer leurs tentes, de se voir confisquer leurs vêtements et autres objets personnels », explique leur avocat. Chez HRO, on détaille ainsi l’objet de l’action en justice : « Dans le cadre de la politique publique de harcèlement et de dissuasion dite de “lutte contre les points de fixation” menée à la frontière franco-britannique, 1287 expulsions de terrain ont été menées dans le Calaisis et le Dunkerquois en 2021. À l’automne 2021, plus de 1 000 personnes survivaient dans plusieurs lieux de vie à Grande-Synthe et notamment au lieu-dit du Prédembourg, parmi lesquelles de très nombreuses familles avec enfants. Les 13 et 26 octobre 2021, deux expulsions de grande ampleur, ordonnées par le maire de Grande-Synthe, ont été menées par un important dispositif policier. Comme d’habitude, aucun habitant n’avait été préalablement informé. Leurs abris de fortune ainsi que certaines de leurs affaires personnelles (papiers d’identité, téléphones portables, médicaments, couvertures, etc.) ont été détruits sur place ou jetés aux ordures par la société Ramery, sans que les personnes n’aient la possibilité de les récupérer, tout ceci en présence de l’huissier en charge de ces opérations et de Hervé Tourmente, sous-préfet de Dunkerque. » Ce sont bien ces conditions qui posent problème. « Une habitation de fortune, comme une tente, c’est un domicile », rappelle Me Giustini. C’est le même droit qui s’applique à n’importe quel justiciable, à n’importe quel locataire ou propriétaire. « Quand vous ne payez pas votre loyer que vous êtes poursuivi, l’huissier qui sera mandaté ne va pas saccager vos meubles ! » Or, pour les migrants, on lacère les toiles qui sont leurs habitations, on jette ou on détruit les effets personnels, on jette et on détruit les matelas. Les confiscations et destructions sont assurées par la société privée Ramery, mandatée par les autorités. Pour sa défense, le conseil de la Ville de Grande Synthe a assuré que les biens saisis sont sans valeur. « Or, précise l’avocat des ayant-droit, une tente a un coût et, de surcroît, la literie est insaisissable. » On ne peut donc prendre les matelas. Mais, autre irrégularité de poids, à chaque fois qu’une telle opération d’expulsion est menée, on ne signifie rien aux personnes concernées. L’huissier ne délivre aucun procès-verbal. C’est illégal. Pourtant, l’avocate de la Ville de Grande-Synthe en a profité pour remettre en cause la présence réelle des exilés au moment des faits. Le comble du cynisme, dit en substance Me Giustini.

Zones de non-droit

Avec un PV, les personnes ont la preuve de l’action. Sans PV, ils ne peuvent rien prouver. « Ils sont dans une zone de total non-droit. On ne leur signifie rien, on détruit leurs biens, on conteste leur droit d’agir et on demande aux exilés de démontrer qu’ils ont été expulsés ! » Pour l’avocat, il y a là violations du code des expulsions et du droit d’aller contester devant le juge. Il a demandé une indemnisation pour préjudice matériel et moral à hauteur de 1 500 euros personne.

Non dénommées et non identifiables

Les associations qui soutiennent les exilés dénoncent la même « rhétorique xénophobe utilisée par les autorités procédant aux expulsions à Calais. Les habitants de ces lieux sont réduits une fois de plus à des personnes “non dénommées et non identifiables”, constamment invisibilisées et privées de leurs droits et de leur voix (...) ». En outre, poursuivent-elles, « ces expulsions laissent toujours la très grande majorité des personnes sans solution d’hébergement, les dispositifs mis en place par l’État étant sous-dimensionnés et inadaptés à la situation et au projet des personnes ». Le jugement est attendu pour le 12 juillet. Mais il y a fort à faire. On sait que l’actuel ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, avait promis que les lacérations des tentes ne se produiraient plus. La réalité montre qu’il n’en est rien et les conditions faites aux personnes en exil ne sont pas en voie d’amélioration.