Aux prises avec le variant anglais

Les Dunkerquois résistent

par Patrice VERMEERSCH
Publié le 19 février 2021 à 17:03

S’il y avait bien un endroit dans l’hexagone où il fallait se rebeller contre le perfide variant anglais, c’est bien dans la cité de Jean-Bart. Entre le 8 et le 14 février, 59 % des prélèvements effectués au Centre hospitalier étaient positifs au variant anglais. Au CHD, on s’apprête à déprogrammer des opérations.

Même si nous n’imputerons pas cette mutation du trop connu virus à un dégât collatéral du Brexit, il faut bien admettre qu’un tel variant, aussi agressif qu’envahissant, devait s’attendre à une réaction proportionnée en terre dunkerquoise. On aurait cependant pu imaginer, hasard des calendriers ou ironie du sort, qu’en pleine période de carnaval les adeptes des chahuts, chapelles et autres lieux plus destinés aux rassemblements XXL auraient fini par oublier les directives liées à la Covid… Que nenni ! L’annulation officielle du carnaval de Dunkerque en 1991 pour cause de guerre du Golfe s’était alors conclue par les mémorables « bandes annulées » interdites certes, mais plus populaires et festives que jamais… À Dunkerque on titrait : « La guerre du Golfe est annulée pour cause de carnaval ! »

Jean-Bart à l’abordage du variant anglais ?

La situation sanitaire actuelle aurait pu laisser craindre un remake de cette situation, mais avec cependant des risques bien réels pour la population locale. Et c’est avec un soulagement bien légitime que les observateurs locaux ont assisté à une réponse aussi responsable que citoyenne de la part des enfants de Jean-Bart. Un respect quasi total des consignes sanitaires dans une situation qui imposait sacrifices et frustrations. Bref l’improbable « discipline carnavalesque » de ce mois de février a sûrement permis d’éviter une plus probable contamination de masse… Bref, tout va mieux que si cela avait été pire ! Parce qu’il faut bien dire qu’en Flandre maritime les chiffres s’envolent, au point que pour une fois, l’ensemble des élus locaux a souhaité d’une même voix proposer les mesures qui s’imposaient, justifiées par l’ampleur de l’évolution de la pandémie. Nathalie Benalla Desmazière, adjointe communiste au maire de Grande-Synthe et présidente de l’Espace santé du littoral (ESL) le répète : « Nous avons de longue date un problème de moyens hospitaliers sur le Dunkerquois. La crise actuelle met l’ensemble des personnels hospitaliers et professionnels de santé en grande difficulté. » Et de rajouter : « Il en va de même pour les personnels enseignants qui sont ici totalement déboussolés et usés par les conséquences de décisions qui leur semblent ineptes ; on leur impose l’accueil d’élèves dans des conditions totalement inadaptées, voire dangereuses. »

Écoles : la préfecture déconnectée

Même avis du côté du député (et médecin…) Christian Hutin (MDC) qui enfonce le clou : « Au vu de la gravité de la situation dans le Dunkerquois, qu’est-ce que cela aurait coûté de fermer les écoles une semaine ? » Le député de la 13ème circonscription, et président du groupe d’études amiante à l’Assemblée nationale ajoute « qu’il ne voudrait surtout pas revivre avec le Covid les drames qu’il a connus avec l’amiante ». Pour Delphine Castelli, adjointe (PCF) à la santé de Patrice Vergriete, maire de Dunkerque (SE), il semble aberrant de demander d’un côté aux habitants de ne plus se rencontrer, et de l’autre de se retrouver dans les écoles : « des classes de collège sont déjà fermées » créant ainsi les conditions d’un possible reconfinement inévitable à terme. De quoi mettre en doute les réelles intentions de l’État et de ses représentants locaux, qui accumulent paradoxes et contradictions. L’élue dunkerquoise souligne à ce propos l’adhésion totale de l’ensemble des élus de la communauté urbaine sur la proposition de fermeture des écoles. La déconnexion totale de la préfecture avec la réalité locale est consternante et potentiellement dangereuse.

Un territoire pourtant riche en initiatives dans le domaine de la santé et de la prévention

Les structures de prévention dans le domaine de la santé sont très présentes dans l’agglomération dunkerquoise. Parmi celles-ci on trouve notamment l’ESL. Forte de ses 33 salariés, et unique en son genre, la structure s’est complètement adaptée à la situation de pandémie. Elle a notamment recruté spécifiquement trois psychologues dès la fin de l’été 2020, comme le souligne son directeur Josserand Floch : ces professionnels accompagnent notamment des étudiants, nombreux sur le littoral. « Ils sont pour beaucoup démoralisés, voire désespérés et se demandent parfois à quoi vont servir leurs études ! » Leur permanence ne désemplit pas… Depuis le début de la crise, l’ESL multiplie les actions de communication sur toute l’agglomération. En lien avec la collectivité locale ils ont dépêché sur le terrain des « ambassadeurs des gestes barrière » qui sillonnent le territoire sans relâche pour une action de médiation permanente. De leur côté, les laboratoires privés du secteur ont également été très réactifs : ils ont très rapidement mis en garde sur les dangers liés à la prolifération du variant anglais notamment. Ce qu’il faut néanmoins retenir dans ce contexte anxiogène, c’est l’adhésion de la population locale aux décisions prises par les élus locaux. La perte de confiance en l’État et ses représentants est très perceptible sur le littoral. Si les propos les plus farfelus ont jeté le doute sur la capacité des enfants de Jean-Bart à oublier leur carnaval, il faut bien admettre que la sagesse a été de mise lors des fameuses « 3 joyeuses [1] ». Les adeptes du parapluie politique ne ressemblent décidément pas aux porteurs pleins de vie du « berguenard », le parapluie du carnaval, fussent-ils pour une fois en berne ! Le maire de Dunkerque a d’ailleurs salué le sens des responsabilités des Dunkerquois. Comme l’affirme le député Hutin : ici, les carnavaleux ont été plus responsables que les représentants de l’État !

À noter :

L’agence régionale de santé organise avec la communauté urbaine de Dunkerque une campagne de dépistage exceptionnelle, en plus de l’offre de dépistage habituelle de vos laboratoires, pharmacies et cabinets. Rendez-vous au Kursaal de Dunkerque, les jeudi 18 et vendredi 19 février de 9 h à 17 h.

La situation en chiffres au 17 février

63 C’est le nombre de patients Covid positifs pris en charge par le centre hospitalier de Dunkerque. Dix d’entre eux étaient en réanimation.

5 Le nombre de patients décédés entre le 15 et le 17 février.

45 Le nombre de patients du CHD transférés vers d’autres établissements de santé.

122 Le nombre de policiers dunkerquois positifs à la Covid et en arrêt de travail (ils représentent le tiers des effectifs).

(Photo : © Google maps)

Notes :

[1Les bandes carnavaleuses qui se succèdent trois jours de suite : Dunkerque, La Citadelle, Rosendaël. Cette année, elles étaient prévues les 14, 15 et 16 février…