La faute aux jeunes ?

Un couvre-feu qui sera respecté mais qui demeure stigmatisant

par Philippe Allienne
Publié le 16 octobre 2020 à 11:14

Constat d’échec. C’est le verdict annoncé qui s’abat après la déclaration du chef de l’État, ce mercredi soir 14 octobre, et sur sa décision d’imposer un couvre-feu à Paris et sur huit métropoles, dont celle de Lille, de 21 h à 6 h. Pour lourde qu’elle soit, la mesure se justifie bien sûr par la gravité de la situation sanitaire. Elle ne sera pas sans conséquences sur des professions comme la restauration. Elle stigmatise, quoi que l’on dise, la jeunesse.

Au lendemain de l’intervention du président de la République, son Premier ministre Jean Castex a précisé que « toutes les fêtes privées, comme les mariages ou les soirées étudiantes qui se tiennent dans des salles des fêtes, salles polyvalentes ou tout autre établissement recevant du public seront interdites ». Cela s’ajoute à la fermeture des restaurants au-delà de 21 h (donc concrètement à l’impossibilité d’ouvrir le soir pour la plupart d’entre eux), aux spectacles nocturnes (théâtre, concerts, opéra, cinéma, festivals...), aux conférences et débats en soirée, à la limitation des réunions conviviales à six personnes autour d’une table (même à domicile alors qu’il sera impossible de vérifier et plus encore de sanctionner) et, bien-sûr, à toute manifestation conviviale après le travail. À titre d’exemple, le Tourcoing Jazz Festival avance sa clôture à 18 heures ce samedi 17 octobre. Elle était prévue à 21 h. Les rencontres Cité-Philo, du 5 au 28 novembre à Lille et dans la région, vont essayer de supprimer un minimum de rendez-vous en soirée pour les déplacer plus tôt. Dans un autre registre, le Club de la presse Hauts-de-France (association de journalistes et professionnels de la communication) déprogramme un débat avec l’ancien Premier ministre Lionel Jospin et reporte ses remises de prix annuelles aux jeunes journalistes. Mais au-delà des aménagements pour les structures culturelles, associatives ou sportives, le couvre-feu pose le problème des libertés publiques et du risque de stigmatisation d’une partie de la population. La jeunesse se sent ici particulièrement visée et, en premier lieu, les étudiants dont les relations sociales vont être drastiquement réduites. « Nous nous attendions à l’instauration de ce couvre-feu, mais cela ne retire rien à sa brutalité  », confie Geoffrey Péron, responsable du secteur études au Mouvement des jeunes communistes du Nord. Au-delà de la sphère étudiante, il craint que la vie sociale se limite désormais à l’univers du travail. Et encore, le télétravail isolera-t-il encore les salariés.

Université de Lille, cité scientifique.
© Morpheus Communication

Hypocrisie

Concernant les jeunes et leur attitude prétendue légère face au risque de contamination et de transmission du virus, il reconnaît la progression de l’épidémie. « Mais, dit-il, c’est une belle hypocrisie que de s’en tenir à ce constat, en insistant sur notre goût pour la fête, alors que les conditions de travail dans les lieux d’étude, sont déplorables. Les classes sont surpeuplées, les universités manquent de financement et de personnel, les lieux de restauration sont insuffisants. » Le couvre-feu vise particulièrement les jeunes, soupçonnés d’être des fêtards invétérés « alors que le gouvernement ne fait rien pour lutter contre la précarité des étudiants. Ces derniers perdent leur emploi, nécessaire pour la poursuite de leurs études, mais on réprime avec des mesures sanitaires hypocrites ». Les jeunes communistes de l’université en savent quelque chose. « Nous prenons les mesures nécessaires pour militer sur le campus en mettant par exemple des masques et du gel hydro-alcoolique gratuits à disposition. Nous avons bien pris la mesure de l’épidémie. De son côté, l’université n’offre qu’un masque lavable par personne. » Pour Geoffrey Péron, il apparaît bien difficile de stigmatiser les étudiants alors que par ailleurs le gouvernement n’a pas su répondre aux demandes des personnels soignants lors de la première vague de l’épidémie. Mais c’est vrai à tous les niveaux. Il évoque ainsi un incident survenu récemment à la station de métro Cité Scientifique – Professeur Gabillard. « Nous avons assisté à un énorme mouvement de foule au pied d’un escalator. Comment respecter les gestes barrière et la distanciation physique ? » Et puis, il ne peut s’empêcher de sourire à l’évocation du Premier ministre lorsqu’il avait affirmé que la rentrée s’était passée sans encombre. « La CGT avait demandé un financement spécial pour cette rentrée, se souvient-il. Nous l’attendons toujours. » Comme le personnel soignant qui attend les promesses d’augmentation des moyens et des salaires.