© Julia Druelle
Les associations hors d’elles

La précarisation des personnes exilées orchestrée par l’État continue

Publié le 15 octobre 2021 à 11:18

Si le ministre Darmanin est hors sol, les associations d’aide aux migrants sont hors d’elles. Bien avant la visite du ministre de l’Intérieur, et une dizaine de jours avant la grève de la faim entreprise par trois soutiens aux migrants, plusieurs associations [1] ont signé un communiqué dénonçant l’attitude de l’État et des autorités locales vis-à-vis de celles et ceux qui recherchent un avenir que les guerres, les conditions de vie et leurs États respectifs ont volé. Nous publions les lignes qui suivent parce qu’elles ont valeur de témoignage sur la situation de milliers d’invisibles.

C’était le 28 septembre, entre 6 heures et 11 heures à Calais. Un an après la dernière destruction du lieu de vie de la zone du Virval dit « Hospital », un dispositif policier disproportionné a été mis en place pour expulser de nouveau des personnes en situation d’exil, sous-couvert d’une opération de « mise à l’abri ». Cette opération de « mise à l’abri » ne respecte pas les principes fondamentaux puisqu’elle s’est déroulée sous la contrainte. Les membres de Human Rights Observers (HRO) présents sur place peuvent témoigner du caractère forcé de celle-ci.

Ici, l’État harcèle, vole, violente

Cette destruction est la 883e depuis janvier 2021, l’État harcèle, vole et violente les personnes en situation d’exil à Calais. Le chiffre pourrait sembler exagéré. Mais étant donné que les expulsions ont désormais lieu pratiquement tous les jours (et non plus un jour sur deux seulement) et que les forces de l’ordre peuvent intervenir plusieurs fois dans la journée (jusqu’à cinq fois), les comptes sont cohérents. Plus précisément, c’était aussi, la 15e expulsion de grande ampleur avec mise à l’abri forcée cette année. En ce 28 septembre, la présence massive et intimidante des forces de l’ordre surarmées d’équipements anti-émeute (tonfas, matraques, gazeuses, tasers, lanceurs de balles de défense ou lanceurs chouka) a pour objectif d’encadrer l’opération afin de rendre obligatoire la montée dans les bus. 350 personnes ont ainsi été emmenées hors de la ville de Calais. Les équipes de nettoyage de la société APC qui accompagnent le dispositif policier ont saisi au moins 450 tentes. Ces équipes ont reçu l’ordre de saisir l’intégralité des effets que les personnes n’ont pas eu le temps de prendre avec elles. Le caractère contraignant de cette « mise à l’abri » était d’autant plus visible que les forces de l’ordre ont établi un périmètre à l’intérieur duquel aucune personne n’était autorisée à sortir, et cela, même pour retrouver les membres de leur famille restés plus loin.

Pas de mise à l’abri sans consentement

La justice est pourtant déjà venue rappeler dans une décision du tribunal administratif de Lille du 7 mars 2019 dite « Préfet du Nord » relative à une expulsion ayant eu lieu sur la zone du Puythouck à Grande-Synthe qu’une mesure de mise à l’abri ne peut être mise en œuvre qu’avec le consentement exprès des personnes et sans contrainte. Par ailleurs, l’ordonnance d’expulsion censée informer les personnes sur l’opération à venir et sur ses modalités n’a pas été affichée dans un délai raisonnable permettant aux personnes concernées d’en prendre connaissance. Aucun membre HRO, ni aucun journaliste n’a pu voir le document affiché le matin même. Ceci va à l’encontre du droit à un recours effectif, reconnu par l’article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950. L’absence d’information préalable quant à la procédure judiciaire d’expulsion sur requête initiée à leur encontre montre que les personnes exilées n’ont pas pu pleinement consentir à cette mise à l’abri. Des membres HRO ont pu échanger par téléphone avec des personnes témoignant ne pas connaître la destination des bus - ce qui prouve les graves manquements dans le déroulement de cette opération.

Tri administratif

Les Centres d’accueil et d’examen des situations (CAES) où les personnes expulsées sont emmenées sont des dispositifs de demande d’asile en France. Le déplacement des personnes souhaitant rejoindre le Royaume-Uni au sein de ces CAES est inadapté. Ce dispositif permet à l’État de faire un tri administratif des personnes ; cela signifie que la plupart d’entre elles seront remises à la rue dans quelques jours. Cette mise à l’abri forcée, comme toutes celles qui l’ont précédée, n’a pour but que d’éloigner les personnes exilées de la frontière franco-britannique en dépit de toute considération humaine et respect du droit. Alors que les politiques publiques se glorifient d’offrir de meilleures conditions de vie aux personnes exilées via des mises à l’abri, les associations dénoncent le caractère forcé de celles-ci : un dispositif policier disproportionné, des personnes empêchées de quitter le périmètre et escortées jusqu’aux bus sans en connaître la destination et la saisie de leurs abris et biens personnels. Ce 28 septembre, les violences d’État ont augmenté d’un cran avec l’affichage d’un arrêté visant à rendre inoccupable le terrain expulsé et à interdire toute présence associative, empêchant ainsi les distributions de nourriture, de biens non alimentaires et l’accès aux services essentiels.

Notes :

[1Human Rights Observers L’Auberge des migrants Secours catholique, La Cabane juridique, Utopia 56, Shanti, Calais Food Collective, Refugee Info Bus, Terre d’Errance Norrent Fontes.