Personne ne comprend cette décision de fermeture. Certes, l’association était aux abonnés absents depuis fin décembre mais de là à en prononcer sa liquidation. D’autant plus que sa trésorerie est saine. « C’est une insulte à l’intelligence, dira à plusieurs reprises Christophe Benoît, secrétaire à l’UL CGT de Lille. C’est incompréhensible d’en arriver là. Ce n’est rien d’autre qu’un sabordage. » Comment en est-on arrivé là ? Les cinq salariées de la structure, accompagnées par des anciennes salariées, des élus locaux, d’autres associations et des victimes qu’elles suivent étaient venues ce 20 février se rassembler devant les locaux de l’association à Villeneuve d’Ascq. En même temps, à l’intérieur, une assemblée générale extraordinaire se tenait. Aucune des personnes présentes à l’extérieur ne s’attendait à une telle issue. En conflit ouvert avec leur direction, les salariées y croyaient encore. Elles dénoncent une surcharge de travail, un mépris et du chantage. Conséquence : un turnover important, des démissions, des arrêts maladie et un sentiment de mal-être grandissant. « Depuis cinq ans, c’est la catastrophe. On n’en peut plus. On ne peut pas travailler sereinement avec des ordres paradoxaux, une absence de supervision et un service désorganisé. On est tellement surchargé de travail que s’il y a une absente, c’est le bazar », raconte, émue, une salariée.
Des « louisettes » révoltées
Les anciennes salariées partagent ce constat. Venues en soutien, elles admirent le combat mené par leurs successeures. Combat qu’elles n’ont pas mené, préférant partir ailleurs. « On est soudé dans l’adversité, c’est pour cela que nous sommes là aujourd’hui, précise cette ancienne salariée. Quand je suis arrivée en 2018, les six premiers mois se sont parfaitement déroulés. Puis, très vite, la situation s’est compliquée. » Même expérience pour cette autre travailleuse sociale arrivée en 2020. « Dès qu’on proposait quelque chose, c’était systématiquement retoqué. On devait faire face à une absence de réponse ou une forte opposition de la part de la directrice. On n’avait pas le droit de penser, seulement celui d’exécuter ses ordres. » Surnommées les « louisettes » une fois recrutées, les actuelles salariées et leurs prédécesseurs se disent révoltées. « Il y a un décalage entre la manière dont les choses ont été pensées dans les années 80 (l’association a été créée en 1984, ndlr) et aujourd’hui. Or, la pratique doit évoluer pour répondre aux besoins d’accompagnement d’aujourd’hui », estime une autre salariée, toujours en activité à Louise-Michel. Les exemples ne se font pas attendre. « Une victime que j’accompagnais devait déménager dans l’urgence, se souvient cette assistante sociale qui a préféré démissionner en 2022. Cette dame était seule et avec des collègues on a voulu l’aider. La directrice a refusé catégoriquement. Nous avons dû prendre des heures de récupération pour aller l’aider. C’est hallucinant. » Préférant ne pas trop dégrader le sens qu’elle porte à son travail, cette dernière a préféré aller exercer ailleurs. « Aucune d’entre nous n’est partie parce qu’elle n’aimait pas son travail. On s’est toutes déjà demandé une fois si, à cause de ces difficultés, on n’était pas passé à côté de nos missions avec notamment une mise en danger des victimes. » Toutes estiment que leur « humanité a été utilisée pour combler les défaillances de la structure ». D’après leurs témoignages, une quinzaine de salariées auraient quitté la structure en deux ans. Des alertes ont été adressées au conseil d’administration et à la médecine du travail sans que cela ne résolve la situation. Face à cet imbroglio, les administrateurs ont préféré prononcer la fermeture définitive de l’association.
« Ils ont préféré couler le bateau plutôt que de trouver des solutions, s’insurge Christophe Benoît. Il aurait pu y avoir des mesures conservatoires par exemple, mais aucun dialogue n’était possible. Les salariés vont être prochainement licenciés. Le sujet urgent concerne les femmes accompagnées, que vont-elles devenir ? » Car l’association n’est pas qu’un lieu d’écoute et d’information. Elle propose un accompagnement psychologique et juridique et dispose d’hébergements d’urgence. Trois familles, dont six enfants, sont actuellement hébergées dans les locaux de l’association et devraient être relayées vers d’autres associations et éventuellement prises en charge par le CCAS. « L’association propose une diversité de prestations réalisées par des professionnels - travailleuse sociale, éducatrice spécialisée, psychologue, juriste, etc. Le CCAS n’a pas ces ressources. Ce n’est d’ailleurs pas sa vocation », pointe le syndicaliste. Alors que la lutte contre les violences faites aux femmes était une grande cause du précédent quinquennat, le sentiment de gâchis est énorme. « Les membres du conseil d’administration ont préféré se ranger derrière la directrice au lieu de prendre une décision de bon sens. Je me demande si la volonté de fermer l’association n’était pas préméditée puisque l’assemblée générale avait été convoquée la veille », se questionne encore Christophe Benoît. Dès janvier, il avait alerté les collectivités qui financent l’association. « On n’a eu aucune réponse de la MEL, du Département et de la Région. Seule la mairie de Villeneuve d’Ascq a réagi pour nous dire qu’elle ne pouvait pas faire grand-chose », relate-t-il. Contactée, la directrice n’a pas répondu à nos sollicitations.