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Conseil constitutionnel : Le chien de garde de l’exécutif ?

par Jacques Manzano
Publié le 14 avril 2023 à 11:27

Alors que ce 14 avril les membres du Conseil constitutionnel doivent décider du sort de la réforme des retraites, doit-on l’interpréter comme un jugement impartial ?

Que peut-on attendre du Conseil constitutionnel ? Ce vendredi 14 avril, les neuf membres du Conseil constitutionnel, auxquels on attribue le nom de « Sages », doivent décider du sort de la réforme des retraites, et en même temps, de la validation d’une procédure de RIP (référendum d’initiative partagée ou « populaire »). Responsables politiques, juristes constitutionnalistes, journalistes... ils sont nombreux à spéculer sur la décision du Conseil. La procédure accélérée choisie par le gouvernement est-elle constitutionnelle ? Pouvait-il utiliser la voie d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, c’est-à-dire une loi budgétaire dont l’exercice est annuel, pour reporter l’âge légal de départ en retraite à 64 ans ?

Des membres triés sur le volet

Censurera-t-il la réforme tout entière ou seulement certains articles ? Ces interrogations sont légitimes et fondées. À condition que l’on considère le Conseil constitutionnel comme une institution impartiale, mue par le seul souci du respect de la lettre et de l’esprit de la Constitution, selon un fonctionnement assimilable à celui d’un tribunal composé de juges professionnels. Ce qu’il n’est pas. Si le Conseil constitutionnel est bien chargé de rendre des avis, ceux-ci sont élaborés par d’anciens responsables politiques pour la plupart et des hauts fonctionnaires ayant alterné leurs carrières dans les ministères et les grands groupes privés. Ils sont nommés par le président du Sénat, de l’Assemblée nationale ou encore le président de la République. Les anciens chefs de l’État en sont membres de droit, mais François Hollande et Nicolas Sarkozy n’y siègent pas. Les neuf Sages doivent donc directement leur place au Conseil constitutionnel à l’exécutif et aux deux chambres législatives. L’un des pères de la Constitution de la cinquième République, Michel Debré, avait même qualifié le conseil de « chien de garde de l’exécutif ». Loin d’être impartiaux, ils ont pourtant le dernier mot sur les lois dont ils sont saisis.

Dès que l’on touche à la question sociale le Conseil se cabre

Depuis 1958, les neuf Sages ont parfois rendu des avis protégeant voire renforçant des droits fondamentaux. En 1971, ils ont ainsi censuré la loi Marcellin, qui instaurait un contrôle des déclarations d’associations loi 1901, et consacré la liberté d’association comme un droit constitutionnel. En 2010, saisis par un nouveau dispositif, la question prioritaire de constitutionnalité, ils avaient décidé que la garde à vue de droit commun n’était pas conforme à la Constitution, ouvrant la voie à la présence d’un avocat lors des interrogatoires. Mais sur d’autres sujets, les neuf Sages ont su se montrer conformes à la phrase de Michel Debré. En janvier 2002, ils censurent ainsi un article de la loi de modernisation sociale, votée par la majorité de gauche. Sous l’impulsion des communistes, cet article redéfinissait les licenciements économiques dans le but d’éviter les licenciements boursiers. Le Conseil constitutionnel avait jugé qu’il s’agissait d’une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre... Dans Le Monde du 10 avril, l’économiste Thomas Piketty rapporte un autre exemple plus récent : la création d’une taxe, sous le mandat de François Hollande, à hauteur de 75% pour les revenus supérieurs à 1 million d’euros. Le Conseil constitutionnel l’a jugée « confiscatoire ». « Le problème est que la Constitution ne fixe nulle part une telle limite chiffrée, qui relève de la pure interprétation personnelle » explique l’économiste. La liberté d’entreprise et le patrimoine des plus riches sont bien gardés, et par des juges qui ont l’air de bien les comprendre. Quelle qu’elle soit ce vendredi, la décision est donc bien politique, et le parcours politique et personnel des neuf Sages doit peser au moins aussi lourd que la Constitution elle-même. On ne compte pas beaucoup de syndicalistes parmi les Sages du Palais-Royal.

Neuf "Sages" très politiques au Conseil constitutionnel

Les neuf « Sages » du Conseil constitutionnel ne sont pas des juges professionnels. Leur parcours est politique, leurs décisions le sont aussi. Leurs parcours éclairent leurs choix.

Laurent Fabius.

L’ancien Premier ministre socialiste est une des incarnations du « tournant de la rigueur » opéré par la gauche en 1983. Plus jeune Premier ministre, il est aujourd’hui le président des « Sages » chargés de donner leur avis sur une réforme répondant à la doxa libérale. Il a pu parfois surprendre, comme en 2005, lorsqu’il se prononça en faveur du « non » au TCE (traité établissant une Constitution pour l’Europe).

Véronique Malbec Encore une « Sage » issue des rangs de la macronie. Ancienne directrice de cabinet du garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, sa nomination au Conseil constitutionnel est l’œuvre de Richard Ferrand, ex-président macroniste de l’Assemblée nationale.

François Seners Énarque, conseiller d’État et ex-directeur de cabinet de Rachida Dati lorsqu’elle était garde des Sceaux. Comme Michel Pinault, c’est à Gérard Larcher qu’il doit sa nomination au Conseil constitutionnel.

Alain Juppé

L’homme du « plan Juppé », « droit dans ses bottes » face au mouvement social de 1995, appartient à la vieille garde chiraquienne qui trouve son compte dans la politique menée par Emmanuel Macron. « Les réformes qui visent une réduction des déficits publics ou des déficits sociaux », les Français « ne les comprennent pas du tout » avait-il déclaré en 1996 dans Le Figaro. Du Macron dans le texte.

Michel Pinault

Conseiller d’État, ancien dirigeant du groupe Axa, Michel Pinault est un « haut fonctionnaire ». Il a exercé au sein de l’Autorité des marchés financiers avant d’être nommé en 2016 au Conseil constitutionnel par Gérard Larcher, le président LR du Sénat et principal allié d’Emmanuel Macron pour imposer sa réforme des retraites.

François Pillet Ancien sénateur UMP puis LR, François Pillet a été un soutien de François Fillon à la primaire LR de 2016. Il est lui aussi un homme de Gérard Larcher.

Corinne Luquiens Entrée dans le corps des administrateurs de l’Assemblée nationale en 1975, elle y a fait toute sa carrière en gravissant les échelons jusqu’à en diriger l’administration, quelles que soient les majorités. C’est Claude Bartolone qui la nomme en 2016 parmi les Sages.

Jacqueline Gourault

Ex-sénatrice Modem, il n’y a aucune ambiguïté : Jacqueline Gourault est l’ancienne ministre de la Cohésion des territoires d’Emmanuel Macron, de 2018 à 2022. L’intersyndicale a demandé qu’elle n’intervienne pas dans le dossier relatif à la réforme des retraites. Sans suite.

Jacques Mézard Ancien ministre de l’Agriculture puis de la Cohésion des territoires... d’Emmanuel Macron.