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Démocratie, climat, travail... c’est leur avenir, leur affaire

En prenant part à la contestation, les jeunes s'imposent dans le débat

par Mourad Guichard
Publié le 24 mars 2023 à 12:35

Après l’annonce d’un possible passage en force de la réforme des retraites à l’aide du 49.3, des milliers d’étudiants et de jeunes travailleurs se sont retrouvés dans les rues des grandes villes des Hauts-de-France et dans tout le pays. Plusieurs campus, dont celui de Lille et d’Amiens, ont été occupés. Depuis le 16 mars, la présence estudiantine et lycéenne dans les manifestations spontanées a décuplé. Elle parait inédite, presque paradoxale, jeunesse et retraite ne formant pas un « couple » habituel ! Cette situation inédite nous a conduit à leur donner la parole. Cinq jeunes ont répondu présents à l’invitation lancée par Liberté Hebdo pour venir débattre des retraites et de leur rapport au travail, de la démocratie ce lundi 20 mars, dans les locaux du journal. Cinq jeunes à l’engagement et aux parcours différents, mais également aux aspirations communes, notamment sur le sens à donner au travail. Une jeunesse qui affiche ici son désir d’une société plus démocratique et plus respectueuse de l’environnement.

«  Je suis l’actualité, pas de manière très impliquée, mais plutôt directe par le biais de mes notifications », explique Hélène, une ingénieure météorologue prévisionniste de 25 ans qui n’a pas d’engagement politique ou syndical. Elle se dit « de plus en plus concernée par le dossier des retraites  ». « En tant que citoyenne, j’ai envie de comprendre comment et pourquoi on vote une loi », poursuit celle qui veut savoir si « cette loi est juste pour ceux qui travaillent et qui vont bientôt partir en retraite ».

Mais qu’est-ce qui pousse ces jeunes à s’intéresser à la question des retraites à l’âge où l’on est censé penser à la fête et aux soirées entre copains ?

« Moi, je vais suivre un peu plus cette question, mais elle est un peu au-dessus de moi, parce qu’elle me concernera dans très longtemps. Je suis plus sur la partie actuelle de ma vie, même si je vois l’ampleur que prend cette question », temporise Arthur, un informaticien de 27 ans, également exempt de tout engagement politique. «  Je voudrais rebondir sur l’aspect citoyenneté évoqué par Hélène, d’une considération de la société entière et pas que pour elle-même », poursuit Sacha, un éducateur spécialisé de 27 ans qui, s’il n’est pas engagé, ne cache pas sa sympathie pour certains mouvements de gauche. « Ma mère a une petite retraite et, depuis cinq ans, elle fait des petits boulots à côté, mais sans se plaindre car elle a un respect pour la valeur travail. Mais moi, ça me touche et ça me préoccupe. » Le jeune homme estime qu’en France il y a un sentiment d’injustice de plus en plus criant. « Ça se voit avec les Gilets jaunes et tous les mouvements sociaux qu’il y a de plus en plus et la réforme des retraites, c’est juste la goutte d’eau qui fait déborder le vase », estime-t-il.

Quelque chose se joue-t-il concernant leur avenir dans cette réforme des retraites ?

Pour Anémone, 20 ans, étudiante à Sciences Po, cette bataille, dans laquelle la jeunesse s’engage de manière croissante, est « un moyen de se saisir d’un sujet politique pour dire qu’on est contre ce gouvernement et ce qu’il met en place ». Comme ses voisins, Aneth, écologiste, étudiante en urbanisme et aménagement de 26 ans, souligne l’aspect intergénérationnel de l’engagement présent. « Je pense à mes parents qui ne sont pas encore partis en retraite et j’ai une forme d’anxiété pour leur fin de carrière. Cela aura forcément une répercussion sur leurs enfants et leurs petits-enfants. Cette contestation montre un besoin de recréer de la solidarité dans la société, de mieux pouvoir se projeter dans l’avenir. » Selon Aneth, la question des retraites s’inclut dans un lot d’anxiétés beaucoup plus large. « C’est un jour particulier (motion de censure, ndlr), parce qu’en plus de l’actualité retraites est sortie la synthèse du sixième rapport du Giec qui nous rappelle qu’il y a une énorme urgence climatique. »

Derrière cette affaire des retraites, la question du travail ne se cacherait-elle pas ?

Au fil de la discussion à bâtons rompus, le sujet transparait. « On nous laisse penser dès l’école qu’il faut travailler jusqu’au bout du bout, pour la productivité et la croissance, sans autre alternative viable », dénonce Anémone. « Mais on sait bien qu’autre chose serait possible. Il est possible de dégager du temps pour les loisirs grâce à la semaine de quatre jours, par exemple. » Hélène acquiesce. « Plus on repousse l’âge de la retraite, plus on compte sur les travailleurs pour créer des richesses, du capital, de la croissance. Ce qui est en totale contradiction avec un mode de vie durable. » Sacha, lui, s’interroge sur cette « notion floue » qu’est la valeur travail. « On replace cette valeur au centre du débat, alors que notre génération veut que les choses bougent en matière environnementale. Une question décisive. il faudrait lier les deux. C’est ce genre de réforme que nous souhaitons. » Le jeune homme ne pense pas occuper sa fonction d’éducateur spécialisé toute sa vie, même s’il dit s’y épanouir. Il défend le droit à « un autre mode de vie ».

Changer les modes de vie ?

Vision que partage Arthur. « Je me rends compte à 27 ans que je fais un travail un peu banal. J’aimerais faire autre chose, un métier porteur de valeurs bénéfiques à la société tout entière. » Anémone a une vision similaire de son avenir professionnel. « Plus tard, je voudrais évoluer dans le public pour avoir un travail qui soit utile et qui serve à la société. Mais aussi un travail épanouissant qui me permette d’accéder aux loisirs. » Hélène est contente d’être dans la fonction publique, univers professionnel qui correspond le mieux à ses valeurs. Pour autant, elle envisage de prendre un virage professionnel surprenant. « Ce que m’offre aujourd’hui la société, ce sont des coupes budgétaires dans une fonction publique réformée, des angoisses au quotidien, des collègues déprimés... J’envisage malheureusement de partir dans le privé pour avoir les budgets qui me permettent de faire des investigations et des études intéressantes et avoir des conditions de travail convenables. » Hélène envisage de s’engager politiquement pour changer les choses, notamment sur les questions environnementales.

Les cinq jeunes s’accordent sur la question de la maîtrise du temps.

Toutes et tous veulent un temps de travail réduit qui inclut une variété d’activités. Et, par extension, une société qui fonctionne autrement. « J’attends que la société et le monde du travail s’adaptent aux questions climatiques », insiste Aneth. « Des pans entiers de secteurs, comme le bâtiment, vont subir de plein fouet la hausse des températures. Sans parler des nouveaux risques que nous voyons émerger au fil de la crise climatique.  » Face aux tâches professionnelles difficiles, voire ingrates, la militante écologiste oppose des alternatives, comme le développement de l’économie circulaire et celui de la transition écologique, alternatives créatrices d’emplois explique-t-elle. De retour sur la question de la réforme de retraites comme voulue par le gouvernement et le chef de l’État, Hélène et Anémone pointent une régression de l’action politique. « Nous subissons une effrayante perte de démocratie. Le président est élu pour cinq ans, puis n’a plus de comptes à rendre au peuple. C’est assez inquiétant. Il faut repenser notre système démocratique. » Arthur s’interroge : « Si le gouvernement fait passer ses décisions à coups de 49.3, ce n’est pas logique. Jusqu’à quel moment ça va être supportable ? ». Aneth, elle, aspire à « ce que l’on puisse rapidement sortir de ce moment où la démocratie est affaiblie, notamment du fait de l’augmentation des violences policières ».

La violence policière conduira-t-elle les jeunes à un repli puis à se désintéresser de la chose politique ?

« C’est ce que souhaite Macron », corrige Aneth. « Mais dans les faits, on manifeste de plus en plus et les grèves se poursuivent. Une aspiration à autre chose est née. » Sacha assure que « cette crise réveille en [lui] un sentiment d’injustice et de colère ». Hélène conclut en rappelant que « tout grand changement dans la société a toujours commencé par des grandes manifestations du peuple. Pour être utopiste, on va peut-être, ce coup-ci, aussi changer les choses  ».

Hélène, 25 ans, ingénieure météorologue prévisionniste : « On subit une capitalisation du temps de travail des gens dans le seul but de favoriser la croissance. »

Sacha, 27, éducateur spécialisé : « C’est fatigant de voir que tout le débat est recentré autour d’une soi- disant valeur travail. Je veux avant tout pouvoir y trouver du plaisir. »

Anémone, 20 ans, étudiante : « J’ai envie d’avoir un emploi utile à toute la société et qui me permette d’avoir accès à des loisirs, à du temps pour ma vie personnelle. »

Arthur, 27 ans, informaticien : « L’accumulation de toutes ces mesures et l’absence de prise en compte de la crise climatique, oui, ça a quelque chose d’anxiogène. »

Aneth, 26 ans, étudiante en urbanisme et aménagement : « Il y a quelque chose dans notre démocratie qui ne fonctionne pas, mais de cette mobilisation nait une autre aspiration, la bataille continue.

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Hauts-de-France