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Entretien avec Fabien Roussel : « Nous allons réparer la France »

Publié le 24 mars 2023 à 12:00

Fabien Roussel, député du Nord, secrétaire national du PCF et candidat à la dernière présidentielle est sur tous les fronts. On le trouve dans la rue avec les manifestants contre le projet gouvernemental de retraite à 64 ans, au Parlement pour croiser le fer avec les députés macronistes et avec les membres de son parti pour dessiner une voie pour sortir la France des crises perpétuelles provoquées par un système dont il dit « qu’il épuise les humains et la nature ». Un projet pour le pays qu’il exprime dans son livre Les Jours heureux sont devant nous et qu’il livre au débat en parcourant les villes et les bourgs du pays.

Liberté Hebdo : Comment analysez-vous la crise politique déclenchée par l’usage du 49.3 ? Fabien Roussel  : Nous traversons une crise grave, extrêmement profonde, provoquée par le président de la République et son gouvernement. Sa réforme n’a pas franchi le seuil du Parlement. L’ultime vote, celui de l’Assemblée nationale, n’a pas eu lieu. Sur 577 députés que compte l’Assemblée nationale, il a manqué seulement neuf voix pour que soit adoptée la motion de censure frappant le gouvernement. Depuis un an, ce dernier a abusé onze fois de cet article nous privant de l’exercice de notre droit de vote. Ajouté au refus des syndicats unis et aux millions de salariés participant aux actions dans leurs entreprises ou dans la rue, on mesure l’importance de l’opposition populaire à laquelle se heurte le président et sa Première ministre qui mettent à mal l’essence même de la démocratie qui veut qu’on ne gouverne pas sans le soutien du peuple. Je suis très inquiet pour mon pays et sur les conséquences de tels gestes. Le président de la République ne peut pas maintenir ce texte de loi alors que la mobilisation grandit en France, que les mouvements de grève reconductible se multiplient. Il est en train de fracturer la France profondément. Je ressens énormément de colère et d’inquiétude chez nos concitoyens, qui redoutent ce risque de fracture du pays. Ils sont secoués par une crise économique et une inflation galopante. Le 17 mars dernier, j’ai aussi réuni des chefs d’entreprise de ma circonscription [1] . Et j’ai entendu des boulangers, des bouchers, dire qu’ils devront peut-être tirer le rideau définitivement. Les salariés savent qu’ils n’arriveront pas à bosser deux ans de plus, qu’ils arrêteront avant, avec des petites pensions à la clé. Dans un contexte d’inquiétude économique sur l’avenir du pays, d’inflation et de guerre, c’est grave. Il est temps d’ouvrir les voies d’une sortie de crise.

L.H. Que proposez-vous, alors que certains commentateurs estiment que le pays deviendrait ingouvernable après cette crise ? F.R. Le pays est difficilement gouvernable. Un divorce, un fossé vient de se creuser entre l’exécutif et les Français. Ils attendent désormais un gouvernement à leur service, solide, promoteur de réformes qui les protègent et les rassurent sur leur avenir et ceux de leurs enfants. Ils sont en attente de sécurité sociale multiforme et d’un fonctionnement démocratique où l’on vous écoute, où chacun se sente respecté. La réforme des retraites doit être abrogée. Elle ne doit pas être promulguée. C’est la première condition pour retrouver le chemin d’une France apaisée et nous mettre autour de la table pour répondre aux urgences, notamment celles qui touchent aux conséquences de l’inflation, notamment en matière de factures énergétiques. Nous avons des propositions concrètes pour faire face à la crise. Elles doivent permettent de baisser drastiquement les factures d’électricité immédiatement et de retrouver une inflation basse, maîtrisée, répondant à la perte de pouvoir d’achat. Le projet porté par les communistes propose des solutions sérieuses pour sortir la France de l’ornière : réparer la France, protéger les Français, répondre aux urgences sociales et écologiques.

L.H. : Il n’y a pas que l’inflation. Les fermetures d’usines, les 80 % de jeunes des Hauts-de-France envisagent de quitter la région selon un sondage... Comment répondre à ces situations ? F.R. : L’hémorragie d’emplois industriels est grave, contrairement à ce que dit le gouvernement. Dans le Cambrésis, deux entreprises ferment coup sur coup, Buitoni et Tereos. C’est comme ça dans toute la France. Les salariés de Renault Cléon en Seine-Maritime ont perdu 600 CDI en deux ans. C’est l’équivalent d’une grande usine qui ferme. Chez Stellantis à Versailles, c’est 1 000 CDI en moins. Réparer la France, c’est remettre le travail, l’industrie, les services publics, la transition écologique, au cœur de notre projet de société. Il nous faut une industrie forte, des services publics efficaces dans la ruralité comme les grandes zones urbaines. La France du travail et du progrès social, une France rendue forte par les investissements que nous ferons dans ces domaines, c’est le cœur de notre projet. Il répondra aux inquiétudes des salariés du secteur privé, qui craignent pour leur emploi, comme à ceux du secteur public. Il offre également des perspectives immenses pour les jeunes, qui ont tous envie d’être utiles au sens noble du terme. Beaucoup imaginent quitter leur région pour chercher du travail ailleurs, alors qu’il y a tant de besoins chez nous. Nous sommes sous-dotés en services publics, nous avons enregistré des retards dans la santé et l’éducation. Ce sont autant de sources d’emplois positifs. Nous avons besoin d’ingénieurs, autant que d’ouvriers et de métallos, de soignants, d’enseignants, d’artistes. Offrons cette perspective à notre jeunesse avec des emplois qui ont du sens et bien rémunérés, qui ne sont pas synonymes d’exploitation et de souffrance, mais d’épanouissement et de bonheur.

L.H. : Comment envisagez-vous la suite pour le PCF et la gauche, alors que l’extrême droite est présentée comme bénéficiaire de la crise actuelle ? F.R.  : L’extrême droite est la pire des solutions pour le pays. Et je ne crois pas que ce soit elle qui profite de la crise politique et sociale. Les journalistes qui font ces commentaires alimentent cette rumeur. La majorité aujourd’hui, ce sont ces millions de Français qui défilent contre la réforme des retraites. L’espoir, c’est cette intersyndicale puissante, qui a été exemplaire dans la manière d’organiser le mouvement, et les dizaines de députés et de sénateurs de gauche qui ont ferraillé ensemble à l’Assemblée nationale et au Sénat. Ils ont formulé des dizaines de propositions alternatives, démontrant qu’une autre réforme des retraites est possible. Quand je les additionne, c’est cette majorité qui est la plus forte. Pour offrir cette alternative aux Français, nous devons nous rassembler, montrer notre volonté commune de reprendre le pouvoir à la finance, aux partis libéraux, et empêcher le projet de l’extrême droite de se mettre en place.

L.H. : Est-ce que l’on serait en train de briser le « plafond de verre » de la gauche dont vous parlez dans votre livre ? F.R.  : C’est la voie en tout cas. Nous ne pouvons pas reproduire ce qui a été fait à l’issue des élections présidentielles, car ce ne sera pas suffisant pour construire une majorité. Il faut aller plus loin. Je fonde tous mes espoirs dans la construction d’une union de la gauche et des écologistes beaucoup plus large, qui ne reposerait pas sur une personnalité, mais sur un collectif de femmes et d’hommes issus des partis et des groupes parlementaires que nous représentons. Mais aussi, et c’est important, sur le travail en commun que nous devons mener avec les syndicats. Sans eux, il n’y a pas de construction possible pour unir le monde du travail. Et c’est pour nous, au PCF, indispensable de travailler à cette tâche. C’est cette ambition que je souhaite porter à l’issue de notre congrès qui se déroulera à Marseille début avril. Nous allons travailler à construire une majorité gouvernementale. Nous ne voulons pas être champions de l’opposition, nous voulons gagner dans l’intérêt du peuple.

Propos recueillis par Diego Chauvet
Les Jours heureux sont devant nous, le nouveau livre de Fabien Roussel L’ouvrage relate certes ses campagnes présidentielle et législatives de 2022, mais pour mieux ouvrir des perspectives pour la suite. Il y raconte, ses rencontres avec la France d’en bas. Et il développe aussi, sans langue de bois, le bilan de la gauche à l’issue de cette séquence. Une gauche qui n’a pas gagné aux législatives et qui jusqu’ici se confronte à un « plafond de verre ». Pour parvenir à rassembler une majorité, il veut un PCF renforcé, à l’écoute des gens, à l’image de son « tour de France » entamé quelques mois après les élections. « C’est à nous de faire le chemin vers eux, et non l’inverse » écrit Fabien Roussel à propos des Français. Les Jours heureux sont devant nous. De la présidentielle à la reconstruction de la gauche, Le Cherche midi, 153 pages, 14,90 euros.

Notes :

[120 e circonscription est composée des divisions administratives suivantes : cantons d’Anzin (moins la commune de Saint-Saulve), Saint-Amand-les-Eaux-Rive droite, Saint-Amand-les-Eaux- Rive gauche et les communes d’Escautpont, Fresnes-sur- Escaut, Hergnies, Odomez, Vicq et Vieux-Condé.