Santé

Hospitaliers. Le plan gouvernemental ne passe pas

par Philippe Allienne
Publié le 20 décembre 2019 à 13:03

Passant habilement entre les tranches de grève du service public radiophonique, Agnès Buzyn a su mettre beaucoup de conviction, mardi 17 décembre, pour défendre son plan hôpital. Sans résultat.

Dans la matinale de France Inter, elle n’a eu de cesse de répéter le geste formidable du gouvernement qui reprend 10 milliards de la dette sur trois ans. À cela s’ajoutent le milliard et demi d’euros de crédits supplémentaires et le redéploiement de 150 millions par an pour investir dans l’hôpital public. Pourquoi, dès lors, les hospitaliers devraient-ils poursuivre leur mouvement et rester dans leur mécontentement ? Ce 17 décembre, les hospitaliers avaient prévu de longue date une grande journée d’action au niveau national. Certes reléguée dans l’opinion par la journée de mobilisation sur les retraites, elle n’a pas pour autant réduit la détermination des professionnels. Ils ne sont pas dupes de la manœuvre gouvernementale qui ne fait qu’utiliser des budgets existants.

Des thérapeutiques inabordables

Tandis qu’une délégation nordiste partait manifester à Paris, au CHRU de Lille, infirmiers, internes et médecins se réunissaient face à l’hôpital Huriez pour clamer leur insatisfaction des mesures annoncées par Agnès Buzyn. Pour le docteur Christian Erb, médecin anesthésiste et membre du collectif inter-hôpitaux du CHR de Lille, les chiffres de la ministre ne veulent rien dire tant que l’on ne parle paspéréquation. Or, les besoins du Nord-Pas- de-Calais sont plus importants que la moyenne, tant en termes de pathologies que de manque d’effectifs et d’investissements.

« Chez les urgentistes, observe-t-il, les files d’attente des patients sont toujours plus longues. Ils sont de plus en plus nombreux à renoncer après 6 heures d’attente sans avoir vu un médecin ». Il voit arriver de nouvelles thérapeutiques très coûteuses, jusqu’à 100 000 euros par patient, et que l’on ne pourra plus offrir. C’est le cas pour certains malades atteints d’un cancer. Tout le paradoxe est là. La science permet de soigner et de guérir de plus en plus, mais les moyens sont loin d’être à la hauteur.

S’agissant précisément des moyens et de la reprise de la dette annoncés par la ministre, l’hôpital vit de toute façon à crédit. « Comme l’État, l’hôpital public emprunte, dit le Dr Erb. Le CHR de Lille a emprunté 450 millions d’euros et va rembourser cette année 31 M €. Mais il va devoir réemprunter à la même hauteur. À terme, on atteint un niveau d’endettement inquiétant. On ne peut d’ailleurs plus rien faire sans l’accord de l’Agence régionale de la santé ».

Risque de mise sous tutelle

C’est de cette manière que, l’an dernier, l’hôpital de Nancy a été placé sous tutelle. « Cela veut dire qu’un administrateur est nommé et fait des choix. À Nancy, cela s’est traduit par la suppression de 600 postes. Si cela nous arrive ici, il faudrait parler de 1 000 personnes. Le risque est réel. » L’établissement d’Armentières est, depuis le début de l’année, dans une situation semblable. Dans la région, huit hôpitaux sur dix sont en difficulté. L’objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) n’est que de 2,1 %. L’an prochain, il sera porté à 2,4 %. C’est nettement insuffisant. Pour le Dr Erb, il est nécessaire de le porter à 4 %. On est loin du compte.

Pas de temps pour réfléchir et se former

Et puis, les équipes et les individus sont débordés. Quand les médecins ne sont pas tentés d’aller gagner mieux leur vie ailleurs (c’est-à-dire dans le privé), ils sont engagés dans une course à la productivité. Résultat, affirme Christian Erb, « nous ne nous réunissons plus, nous ne prenons plus le temps de réfléchir et de faire du scientifique. Dans ma spécialité, il manque 20 % d’anesthésistes-réanimateurs. Comment voulez-vous que nous passions du temps à lire, à nous informer, à nous former ? »

Frédéric Herrewin, secrétaire général CGT au CHR, ne dit pas autre chose. « Un interne, complète-t-il, c’est quelqu’un qui a fait huit ans d’études et qui se spécialise. Si l’on ferme des lits et que l’on supprime des postes, cela se retourne contre lui ».

Pour lui, il faut adapter le nombre de personnes (médecins, internes, infirmiers...) en fonction de la réalité du territoire. « Il faut une capacité d’accueil adaptable alors qu’aujourd’hui, on raisonne en fonction du nombre d’actes ». Ce 17 janvier, le jour de mobilisation pour les retraites n’était pas en déphasage avec la mobilisation des hospitaliers.

« Nous demandons à être mieux rémunérés pour cotiser plus et avoir une meilleure retraite. On nous fait le coup d’une retraite par points. Or, il faut une hausse des salaires (sur la base de 300 euros pour les plus petits salaires), une hausse des effectifs, une égalité des salaires entre les hommes et les femmes ». Là encore, le gouvernement est loin du compte. Le matin même, la ministre assurait que si l’on augmente les salaires, on ne peut investir.