© Marc Dubois
Norbert Gilmez

Le combat d’une vie

par JACQUES KMIECIAK
Publié le 14 octobre 2022 à 12:51 Mise à jour le 13 octobre 2022

Figure emblématique de la lutte des mineurs en quête de réparations pour avoir été victimes de la répression d’Etat lors de la grève de l’automne 1948, Norbert Gilmez s’est éteint, samedi dernier, à l’âge de 101 ans. Un "hommage républicain" lui a été rendu ce jeudi 13 octobre à Grenay.

Jusqu’au bout, il s’est battu, toujours insatisfait des compensations accordées par la République. Le regard pétillant, il clamait à qui voulait bien l’entendre que le compte n’y était pas. Comme tant d’autres, Norbert Gilmez a été confronté à la guerre de classe impulsée par un patronat minier revanchard dans un contexte de guerre froide. Le 4 octobre 1948, dressée contre les décrets Lacoste de remise en cause du Statut des mineurs, la corporation cesse le travail. Décidée démocratiquement, massive, la grève dure deux mois. Le bilan est terrible : six houilleurs assassinés par les troupes de Jules Moch, ministre socialiste de l’Intérieur, des dizaines de blessés, des centaines d’autres condamnés et emprisonnés, des délégués révoqués, des étrangers expulsés… Et pas moins de 3 000 licenciés !

Une descente aux enfers

Employé à l’usine de Mazingarbe dont il est originaire, Norbert perd lui aussi son emploi. Communiste et CGTiste, il est dans le collimateur des Charbonnages. Au terme d’un simulacre de procès, accusé d’ « entrave au bon fonctionnement des Houillères », il est condamné à une peine de prison qu’il purge à la maison d’arrêt de Béthune. « J’étais innocent. J’avais simplement fait grève, un droit pourtant reconnu par la Constitution !  » déclarait-il. Son licenciement est le prélude à une descente aux enfers. Les portes des entreprises des alentours sous la coupe des Houillères se ferment. Norbert et sa famille sombrent dans la misère. Le ciel s’éclaircit lorsqu’en 1960, La Tribune des mineurs, l’organe de la Fédération régionale du sous-sol de la CGT, l’embauche.

« Porte-parole  » des licenciés

À l’été 1981, la loi d’amnistie votée sous Mitterrand n’offre, en guise de compensation pour le préjudice subi, que des miettes aux licenciés. En 1998, la Fédération Mines Energie de la CGT lors de son congrès de Gardanne, remet le sujet au centre de ses préoccupations. Après la HALDE, le conseil des Prud’hommes de Nanterre est saisi. En 2008, une première décision de justice favorable, d’emblée contestée par les Charbonnages, propulse Norbert Gilmez à la une de l’actualité. Il se révèle alors comme le « porte-parole  » des mineurs licenciés. De courriers aux présidents de la République en interventions publiques, il gagne en notoriété tout comme la cause qu’il défend.

Soutien du PCF

Soutenu par des élus communistes comme Georges Hage, Jean-Jacques Candelier ou Dominique Watrin, son combat s’est invité au Parlement. Il trouve un premier aboutissement heureux à travers l’adoption en 2014 d’une loi impulsée par Christiane Taubira, alors ministre de la Justice. Elle reconnaît le « caractère discriminatoire et illégal » des licenciements. Une allocation de 30 000 euros est versée aux victimes du « terrorisme d’Etat  », comme le qualifiait si justement Norbert. En 2017, la Légion d’honneur lui est remise à la Maison syndicale de Lens. Il la dédie «  à l’ensemble de la corporation minière qui a œuvré à la reconstruction du pays » avant, fidèle à ses convictions communistes, d’entonner L’Internationale.

Ils se souviennent

Dominique Watrin (sénateur PCF de 2011 à 2018)

Il s’agit d’une grande perte pour la classe ouvrière. Il était l’une des figures du communisme. Doté d’une puissance de conviction et de démonstration, il me faisait penser à un avocat sans avoir pourtant fait des études de droit. Sénateur, chaque année, je recevais de cinq à six lettres de lui très bien écrites et argumentées. En ce sens, il était un enfant de l’école de la République. Sur le fond, il a rétabli l’honneur des mineurs confrontés à un scandale d’Etat, qui a duré des années. Toutes les avancées que nous avons obtenues, ont été arrachées par la lutte. Il n’a jamais abandonné son combat tellement il a souffert humainement et financièrement de son licenciement. Il a tout perdu à l’époque. C’est difficile à imaginer.

Pierre Rebouillat (fils d’un mineur licencié)

C’était un brave homme, une bonne personne. On ne l’oubliera pas. Il s’est toujours bien occupé de nos dossiers. On s’est bien baladés tous les deux. Nous sommes allés plusieurs fois à Paris ou dans des villes de la région pour des réunions le soir. A la fin, j’étais non seulement son pote, mais aussi devenu son chauffeur.

Raymond Frackowiak (dirigeant de la CGT mineurs du Nord-Pas-de-Calais)

Je l’ai connu dans les années 1960 au syndicat des mineurs CGT. Il travaillait pour La Tribune des mineurs. C’est avec lui et Georges Carbonnier, un autre licencié de 1948, que nous avions rencontré plus tard Georges Hage, député du Douaisis, qui est intervenu à l’Assemblée nationale. Au syndicat, Norbert faisait toujours des interventions très politiques à partir de sa lecture quotidienne de l’Humanité. C’était un homme très intelligent avec une mémoire hors du commun. Un camarade très persévérant aussi.

Christian Champiré (maire PCF de Grenay)

Norbert militait à la section PCF de Grenay. Je l’ai connu à la fin des années 1990. La dialectique, c’était sa façon de penser les choses. C’était un camarade déterminé qui connaissait bien les sujets pour les avoir travaillés. C’était un révolté. Le fait que les choses n’avançaient pas assez vite n’était pas acceptable à ses yeux. Il contestait tout pouvoir même celui de son parti ou de la CGT. Il fallait faire bouger les lignes à tout prix. Selon lui, un militant avait un devoir de transgression. Il ne pouvait pas se contenter des acquis. Sa Légion d’honneur ne l’a ainsi pas empêché de continuer à revendiquer des droits pour les autres et pour lui. Propos recueillis par JK