Mohammed Lakel

« Mon grand-père et mon père ont travaillé pour ce pays. Et ce pays m’expulse »

par Philippe Allienne
Publié le 30 août 2019 à 17:34

Un peu plus d’une semaine après son expulsion vers l’Algérie, lundi 19 août, Mohammed Lakel nous explique son espoir de revenir en France, dans le Nord, où un emploi de jardinier lui était proposé.

Dans quelles circonstances avez-vous été arrêté avant votre reconduite à la frontière ?

C’était un mardi. Je me rendais à l’Abej, à Lille, pour participer à une sortie à la mer. C’est comme cela que j’ai été interpellé par deux policiers. C’était des policiers de la Police de l’air et des frontières. Ils m’ont arrêté et tout s’est arrêté sur un trottoir, à Lille. Très vite, j’ai été emmené au centre de rétention de Lesquin. J’ai construis ma vie en France. Ce jour là, j’ai perdu beaucoup.

Vous êtes arrivé en France, dans le Nord, en 2012. Dans quelles circonstances ?

Mon père a travaillé pour l’industrie textile, à Roubaix, de 1960 à 1999. Il travaillait pour l’entreprise Mazurel. Il est mort en France et a été enterré en France. Moi, je suis venu pour faire rapatrier son corps sur son sol natal, en Algérie. J’ai fait les démarches nécessaires, mais je ne suis pas parvenu au bout. Et je suis resté.

Et vous êtes devenu sans papier.

J’ai là aussi fait les démarches nécessaires. Avec le CSP 59, j’ai monté un dossier pour ma demande de régularisation. Cela n’a pas marché. Je ne comprends pas. J’ai cherché à être un citoyen, j’ai cherché à être un humain. Je suis un humain. Comme mon père qui était ouvrier ici. Comme mon grand père avant lui, qui était aussi ouvrier en France. Comme les fils de ma tante, mes neveux, qui vivent en France. Je n’ai fait de mal à personne. Je ne suis pas dangereux pour les autres. Je n’ai jamais eu de problème avec personne. Et pourtant, on m’a traité comme un délinquant.

Parce que vous n’aviez pas de papiers ?

Mais je n’ai jamais triché et je ne me suis jamais caché. Je travaillais comme jardinier à Roubaix. Je ne me sentais pas comme un « sans papier » parce que je n’y pensais même pas. Je travaillais, je donnais des coups de main, j’avais des amis, je participais à la vie associative avec le secours catholique, le CSP, etc. Non, je ne pensais pas tout le temps à ma situation de « sans papier ».

C’était comment au centre de rétention ?

C’était vraiment très dur. Quand on est enfermé, derrière des barreaux, jour et nuit, c’est dur. On voit la nuit qui tombe et on se dit que ça ne finira pas. Je pensais à mon père et à mon grand père qui ont travaillé toute leur vie pour la république française. Et aujourd’hui, on m’expulse.

Comment avez-vous été accueilli à votre arrivée en Algérie ?

Plutôt bien. Personne, pas même les autorités, n’ont compris pourquoi j’ai été expulsé. Mon dossier devait être étudié en septembre. Je ne pensais pas que cela finirait comme cela, brutalement, quelques semaines plus tôt, c’est à dire avant l’étude du recours. Maintenant, je vis avec ma mère et mes frères. Mais je me sens déraciné. Ma vie est en France. J’espère que je pourrai y revenir.

Vous avez un an d’interdiction de territoire.

Je peux attendre parce que je veux revenir. J’espère que mon dossier sera réétudié.