Drame de Saint-Jean-de-Luz

Un enfant ou un ado n’est pas un adulte en réduction

par Alcide Carton
Publié le 27 février 2023 à 15:33

Mercredi midi ! À peine le drame vient-il de se dérouler que tous les médias à l’unisson se sont précipités à Saint-Jean-de-Luz, talonnés par le ministre de l’Éducation nationale assurant sa compassion à la communauté enseignante, et un mot, peut-être, de solidarité à la famille de la victime, ses enfants, son compagnon ses parents peut-être. Car c’est un drame affreux, un fait divers horrible que d’assister impuissants au meurtre d’une professeure par un adolescent-élève tout juste pubère. Là où il reviendra à la police et à la justice d’établir au mieux la réalité des faits, ce qui demande du temps, le temps nécessaire pour travailler sereinement, déjà les médias, les ministres et les leaders politiques de droite ont tranché et désigné le coupable : le gosse et les parents. Et Samuel Paty remis à l’avant-scène ! Un peu de pudeur messieurs les journalistes ! Un peu de pudeur, vous hommes politiques déjà prêts à légiférer et renforcer les portiques, les fouilles à corps, et je ne sais quoi encore pour « terroriser les graines de terroristes » ! Malgré le déploiement insensé de votre idéologie rétrograde sur les écrans et qui n’a d’autre but que de vous exonérer de vos responsabilités dans l’aggravation incontestable des conditions de travail des élèves et des professeurs dans l’école que vous sacrifiez depuis des années au culte de la rentabilité, je vous désigne comme responsables des drames dont vos médias se délectent et ceci sans attendre quelque autre jugement. On ne sait rien, à l’heure où j’écris ces lignes, des circonstances du drame qui vient de coûter la vie à cette enseignante. Par contre, j’ai retenu ce que nous a enseigné Rousseau il y a deux siècles et demi puis dans sa suite, les psychologues d’enfants : un enfant ou un adolescent n’est pas un adulte en réduction, mais une être en devenir, et certainement pas, par essence, un assassin. Ce sont ces principes forts qui ont inspiré les ordonnances de 1945 nées de la Résistance - tant de fois mises à mal par les gouvernements de droite (surtout) - et qui fondent la protection judiciaire de la Jeunesse articulant protection et répression dans une perspective d’éducation. Or qu’en est-il des mesures politiques qui ont été prises depuis cinquante ans pour aller dans ce sens ? Rien ou si peu ! Il est faux de dire que les enfants deviennent adultes plus vite. Rien ne l’a encore prouvé sérieusement. Par contre tout comme leurs mères, ce sont eux qui subissent de plein fouet et de manière plus violente encore, parce qu’innocents, les effets pervers du libéralisme : la misère économique, la compétition sociale et les pertes de sens de l’avenir dans un « no-futur » généralisé. Ce sont les agressions, les drames successifs de leur toute jeune vie qui, parce qu’ils doivent s’en défendre au risque de périr, leur confèrent une plus précoce maturité allant parfois même jusqu’à l’irréparable. Mais en dépit de tout cela, un(e) adolescent(e) de 15 ans est et demeure avant tout, dans l’hétérogénéité de son développement, un(e) adolescent(e) de 15 ans. Wallon, ce grand psychologue d’enfants du siècle dernier, proposa un vaste service de psychologie scolaire dont l’objectif premier était de venir en aide à l’enfant, « pour démêler les raisons de ses insuccès scolaires ». Grâce à René Zazzo, lui aussi grand psychologue, il parvint à en montrer, hélas pendant peu de temps, l’intérêt et l’efficacité. Mais très vite on détourna le sens du métier de psychologue limité au renforcement de la sélection et de l’orientation en priorisant le handicap. Depuis les années 2000, leur statut et leurs missions ont été modifiés à l’envi, mais surtout le nombre de postes a été réduit de plus de moitié. Zazzo estimait qu’il en fallait un pour un secteur de 1 000 à 1 500 élèves pour accomplir ce qu’il revendiquait. On a crié, à l’époque, au voleur ! Aujourd’hui, des pans entiers de notre territoire scolaire n’en disposent plus, ou on n’en compte parfois plus qu’un pour 4 000 à 5 000 élèves ! Mme Lymer, dans un précédent numéro de Liberté Hebdo, dénonçait à juste titre la misère dans laquelle se débat la médecine scolaire ! Je ne saurais rien ici rajouter au triste mais objectif bilan qu’elle dressait ! Les mesures de carte scolaire annoncées ces dernières semaines aggraveront c’est certain le climat scolaire. Pas besoin d’être fin clerc pour le deviner : d’un côté des profs à qui l’on demande toujours de travailler plus et plus longtemps et « couteaux suisses » des méfaits des politiques scolaires ; de l’autre des élèves soumis à des règles sécuritaires quasi policières, un avenir décidé par les algorithmes de Parcour’sup. Que dire de l’état de la psychiatrie de l’enfant dans un système de santé à bout ! Prévenir, coûte, éduquer coûte, mais n’est-ce pas là « un devoir de l’État » comme l’affirmait Condorcet en 1792 pendant la Révolution ? Il serait temps de s’en inspirer pour éviter d’autres drames !

Alcide Carton est ancien psychologue scolaire, inspecteur de l’Éducation nationale spécialisé à la retraite.